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... Carlotta en America del Sur ...

24 août 2008

The End.

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Ca vous a plu ? Dites-le moi en me laissant un commentaire !
Vous attendez la suite ? Inutile... ce blog est une publication intégrale, complète, définitive et close d'une expérience bien précise. Je n'y ajouterai pas de message...
Cependant, je projette de voyager de nouveau, cette fois ci ce sera un voyage sans retour, ad vitam eternam... en fait je prépare mon passage à une vie nomade, qui me manque trop, enfermée que je suis actuellement dans la sédentarité, ses conventions, ses obligations... aussi je vous tiendrai au courant ici, si à cette occasion je publie de nouveau mes aventures dans cette nouvelle expérience, sur un blog !
Si vous pensez que ce texte (l'ensemble du carnet de route Carlota en America del Sur) en vaut la peine, et mériterai d'être publié autrement, dites le moi aussi,... je cherche éditeur... Editeur, faites vous connaitre si vous êtes interessés... laissez moi aussi un message, un commentaire...

Au plaisir...

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2 janvier 2005

Epilogue

Dimanche 2 janvier 2005, Evry, France.
Mai 2003. Je retourne en France, à Paris, d'où je suis partie en septembre 2002, pour le voyage. J'y reviens pour les opportunités d'emploi qui s'y présentent dans mon domaine de compétence : primo, écrire des scénarios pour une sitcom dans une petite société de production à République, secundo, une possibilité d'adapter et de réaliser en court métrage la nouvelle d'un ami avec son producteur… En quelques semaines je vais décrocher mes premiers entretiens dans un milieu que j'ai toujours cherché à approcher, voire à intégrer, depuis que j'étudie le cinéma et l'écriture scénaristique. Le seul milieu où je pourrai peut-être enfin m'épanouir en ne faisant plus que ce que j'aime : écrire. Etre payée à être créative. Un rêve, non ? Puis les entretiens tournent au vinaigre. Je ne les sens pas du tout ces gars là. Le premier semble chercher des écrivains pleins d'idées, à exploiter, pour leur "piller" les idées, et quand on lui parle de sous, de rémunération : silence radio. Le second est plus malin : il écoute mon projet, ma vision des choses, mais me conduit à me rendre compte que je n'y crois pas vraiment. Il est vrai que cette idée d'adapter la nouvelle d'un autre ne vient pas de moi, mais de mon ami, qui s'est laissé dire que si sa nouvelle plaisait à son producteur, et que lui avait déjà trop à faire avec ses propres tournages, je pourrai être interessée. Mon engagement est opportuniste, et pas réellement  dévoué à la cause du sujet. Nos avis sont en plus divergeant sur le dit sujet. J'abandonne.
Remettre les pieds à Paris, après six mois de liberté absolue sur les routes d'Amérique du Sud est une vraie épreuve. Je ne supporte plus la foule docile des transports souterrains, le vomissement olfactif et sonore des automobiles, le grondement de l'activité disciplinée des zombies de la capitale, les odeurs nauséabondes de la ville, l'absence cruelle d'humanité de tout ces flux instinctivement si ordonnés et inflexibles… Paris m'angoisse.
A mon retour dans l'enfer parisien, je suis hébergée par un cousin. Presque trois semaines. C'est long. Sa femme en a marre je crois. En plus ils n'arrêtent pas de recevoir : un neveu à elle vit déjà chez eux. Sa sœur va bientôt débarquer. Ils n'ont plus d'intimité. Il est temps que je m'en aille. Mais où ? Le nomadisme est bien plus difficile à exercer ici en Europe, en France, à Paris, qu'en Amérique du Sud. L'hotel le moins cher coûte 22€ pour trois lit, mais encore faut-il pouvoir partager les frais avec d'autres itinérants. Les auberges de jeunesses coûtent 15€, seul. Je n'ai pas les moyens. Juste mon chômage qui tombe encore tous les mois. Je me ruine à développer toutes mes photos en plus. Ils me perdent une pellicule d'ailleurs. Que je ne récupèrerai jamais. Je passe une petite semaine avec mon frère à Bordeaux avant qu'il ne parte passer tout l'été en Guadeloupe. Un pic-nic sur les bords du canal Saint-Martin, comme au bon vieux temps, où j'invite tous mes copains de la belle époque, où je vivais dans le 11ème partageant l'appartement d'une amie : personne au rendez-vous, ou presque. Je fais le tri dans mes amis. Je peux les compter sur les doigts d'une main, mais ils sont là. Cela fait chaud au cœur. Je revois même des camarades de classe du lycée.
Juillet, je pérégrine tout l'été entre les quatre coins de France. Deux semaines à Bordeaux, dans l'appart de mon frère, à vadrouiller avec tous les amis que j'ai là-bas, à faire des barbecues. Puis une expédition vers les Pyrénées Atlantiques : féria de Ceret, canyoning sauvage sur une rivière, plongeons à 20 mètres, feux improvisé sur les berges caillouteuses de la rivière, soirées dans le petit grenier du frère d'un ami qui s'est réfugié dans les Pyrénées pour élever des abeilles et récolter du miel. Puis deux semaines à Marseille chez une amie, à vadrouiller idem avec mes amis de Mars', dans les calanques, les projection de films en extérieur l'été, les concerts gratuits, les terrasses de café… Entre les deux, un 14 juillet à marcher avec mon sac à dos dans Paris entre la gare Montparnasse et la rue de la Pompe dans le 16ème où une amie m'a offert l'hospitalité de la chambre de bonne de ses parents. Puis trois nuits chez ma tante dans le 19ème.
Je postule dans une société de cours de français pour partir un an au Japon enseigner cette langue. Il m'invitent à un entretien : j'y crois, cela se passe carrément bien. Cela ne marchera pas finallement. La réponse est pour le moins bizarre :   "Nous comprenons tout à fait que cela puisse être une déception pour vous mais nous espérons que vous comprendrez que le nombre de postes est très restreint et les candidatures très nombreuses. Malheureusement nous ne sommes pas en mesure de donner des détails sur la manière dont cette décision a été prise."
Les vacances en juillet. Tout ça pour attendre août. Une autre amie me laisse son appartement un mois pendant qu'elle est en vacances dans le sud. Ce faisant, le chômage se fait insistant. Je multiplie les candidatures : spontanées dans le journalisme, dans des boîtes de prod aussi, et puis je commence à répondre désespérée à des petites annonces pour des boulots de merde. Je profite de ce mois, seule, dans cet appartement dans la proche banlieue de Paris, pour emprunter à une amie, son agrandisseur. Je fais moi-même les tirages de mes plus belles photos de voyage, qui deviendront peut-être un jour un album, ou une exposition.
Je passe dix jours à corriger le mémoire de DEA d'une amie brésilienne. Un travail rémunéré maigrement, mais il faut bien vivre. Je me laisse bercer quelques temps par l'illusion que je pourrai aisément devenir enseigante-chercheur à la Fac, en cinéma. Mes directeurs de recherche ne m'ont-ils pas proposé de me suivre en doctorat ? Je rédige un sujet et reprends contact avec eux. Alors qu'avant de partir, je m'étais jurée que cette vie là n'était pas pour moi : une vie exclusivement théorique et intelectuelle, qui analyse les œuvres des autres, sans jamais prendre le risque de faire face aux dures réalités sociales de ce monde, sans jamais prendre le risque de produire son propre message artistique, et cinématographique, sans prendre le risque de s'exposer au regard des autres et à leur jugement… Juger, ou être jugé, là est la question.
Une amie (encore une), qui travaille encore dans le lycée où j'ai été emploi-jeune deux ans plus tôt, m'informe qu'ils cherchent des assistants d'éducation. Entre être télévendeuse, téléenquétrice, téléopératrice,… ou téléspectatrice type (ménagère de moins de 50 ans, car au chômage), mon choix est fait. Je postule. Sachant très bien que le proviseur du lycée en question m'appréciait bien, ravi de ma prestation en tant qu'emploi jeune, deux ans auparavant, et que j'ai toutes mes chances. L'entretien n'en aura même pas la forme. Je lui raconte mon voyage, lui montre mes photos, et lui explique rapidement mes projets : un doctorat, passer des concours de l'Education Nationale. Il est embalé. Reste à convaincre le conseil d'administration de son établissement qu'il a besoin d'assistants d'éducation (sachant qu'il est déserté par les emplois jeunes en fin de contrat, et que le ministère n'a de cesse de réduire les postes de surveillants). La signature du contrat est ainsi différée de quasiment un mois.
En septembre, la propriétaire des lieux, locataire de l'appartement où je logeais en août, revient de vacances pour prendre son poste de prof d'art plastique dans un lycée d'une banlieue chaude de Paris. Nous cohabiterons quelques semaines, mais son petit ami va bientôt emménager avec elle, et il est temps que je débarasse le plancher. J'ai passé tout l'été sur les sites de colocations. En août, je rencontre une photographe, qui vit en travaillant comme serveuse. Je dois emménager avec elle à Noisy-le-sec à son retour de voyage en Inde, mi-septembre. Date à laquelle je commence également à travailler comme assistante d'éducation dans un lycée d'Evry, à deux heures en RER et en métro, et bus, de l'endroit où j'ai trouvé cette colocation.
Forte de mes précédants déboires de colocation, nous allons passer ensemble un contrat de co-habitation. Je n'ai pas d'argent. Je ne peux pas lui payer de caution. Mais je lui fais un virement automatique de la moitié du loyer tous les mois. Rapidement la situation va se dégrarder. Les deux premiers mois elle me raconte toute sa vie. Nous passons des nuits entières à discuter. L'entente est plutot bonne. On se trouve même pas mal de points communs.
En novembre 2002, je partcipe au recrutement de créatifs par Endemol. Une expérience intéressante, qui me premet de réaliser que jamais je ne pourrai entrer dans le moule qu'ils imposent. C'est quand même un comble de vouloir formater des gens créatifs, non ? Je ne fais aucune rencontre humaine interessante. Pourtant je suis sélectionnée pour les épreuves finales. Je visite donc en quelques sortes, cette usine nationale de la télé-réalité, avec l'illusion qu'en y entrant j'aurais pu y insufler mon venin de révolution. Peines perdues. Je fais ensuite quelques candidatures dans des sociétés de productions d'émissions de télé. Aucune réponse, sauf deux négatives, que je garde en souvenir.
Puis au cœur de l'hiver, les disputes avec ma colocataire se multiplient, sur la base de nos conceptions très divergeantes de la vie en communauté. Elle n'envisage absolument pas qu'étant donné que nous partageons les frais à 50/50 je dois être au courant de ce qu'elle fait, dans la gestion du logement. Une grosse dispute à propos du chauffage en janvier : elle chauffe sa chambre à l'électricité, même en son absence, alors que, comme nous en étions convenues, je me restraint à chauffer la mienne au fuel, la nuit, et que comme il n'y a plus de fuel, et que c'est à elle d'en acheter, et qu'elle est absente, je me chauffe au pullover. Puis une autre à propos de la vaisselle que je fais tout le temps, dans la foulée. Et puis elle commence à être agressive avec moi. En février, son attitude tourne à la paranoïa : elle croit que je veux dénoncer notre situation aux impôts. Je n'ai plus confiance et j'en ai marre de ses reproches. A chaque fois qu'elle se met en colère, à court d'argument, elle en vient à m'insulter sur la base de notre relation affective : j'en sais assez sur elle (pusiqu'elle m'a raconté toute sa vie) pour la maintenir dans une situation vulnérable, et je l'utilise contre elle.
Notre contrat de cohabitation s'achève à la mi-mars. Je vide la chambre que j'occupais chez elle, de toutes mes affaires, les entreposant dans le grenier de mon amie prof d'art plastique. J'ai vécu six mois avec la photographe. Six mois pendant lesquels j'ai quand même réussi à stabiliser ma situation financière. Mais je ne fais plus rien d'autre de ma vie que travailler, travailler, et travailler. Et puis je suis surveillante dans un lycée, je ne vois que les élèves qui ont des problèmes sociaux, et/ou de comportement : à chaque vacances scolaire, je finis le trimestre sur les rotules, lessivée psychologiquement. Plus, mes presque quatre heures de transport quotidien, parmi les brebis du RER-boulot-RER, j'accumule la fatigue.
Je passe ensuite les trois mois les pires de ma vie. Je me retrouve sans domicile fixe. Des amis de la région parisienne m'hébergent à tour de rôle chez eux, ouvrant le canapé clic-clac de leur salon pour moi. Mais je change de salon tous les deux ou trois jours, me trimbalant sans cesse avec mon sac-à-dos. Souvent, quand je reviens du travail le soir, et que je change de RER à Chatelet, je ne sais plus où je suis. Je m'arrête de marcher, me laissant traverser par les flux mécaniques des travailleurs-consommateurs-téléguidés par leurs habitudes. Je suis prise d'une angoisse terrible : je dors où ce soir ?
Les obligations, les contraintes et les besoins des uns et des autres font qu'ils se décommandent parfois au dernier moment pour m'acceuillir, ou qu'ils ne savent que le jour même si je peux venir chez eux. Je me soumets à leurs bons vouloirs. Et quand je suis chez eux je fais tout pour gêner le moins. Je fais la vaisselle, le ménage. Je remets toujours chaque chose à sa place, pour ne pas perturber l'espace de chacun, même si son organisation ne répond absolument pas à ma logique. Je suis extrèmement vigilante à tous ces détails qui me pourrissent le cerveau. Je fais des courses pour partager les frais. Je fais la cuisine. Je ne me couche pas avant que mes hôtes aient envie de dormir, quelque soit la journée que j'ai subit avec les jeunes sur mon lieu de travail. Je suis réveillée par la fumée de tabac le matin, quand ils prennent le petit-déjeuner à deux mettre du canapé où je dors. Ou dans la nuit quand ils traversent le salon pour aller aux toilettes, ou pour aller au travail. J'accepte n'importe quel programme débile à la télé, n'importe quelle conversation abstraite ou superficielle, si loin de mes préoccupations basiques de logement.
Et chaque quart d'heure de répis à mon travail je l'exploite pour parcourir les annonces de location, de colocation, passer des coups de fils par milliers, prendre des rendez-vous pour des visites. Je visite des studios minuscules, sans WC, ni douche, au septième sans ascenceur, trop chers pour moi. Je me présente à des entretiens pour colocation. Jamais rappelée. Sauf une fois, par une communauté de libertaires qui se partageait une maison : mais c'est moi qui est refusé parce que c'était pour un mois seulement et que j'étais alors sur le point d'obtenir un HLM.
Puis je n'ai plus eu la force de demander plus aucun service à mes propres amis. Certains me recevaient d'ailleurs tellement froidement, et à reculons, que j'avais honte de ce que j'étais devenue. Certains ont même osé insinuer que je faisais exprès d'entretenir cette situation, que j'étais trop difficile pour trouver un logement, que je profitais de leur gentillesse… Les mêmes d'ailleurs qui ont été installé par leurs parents de A à Z quand ils ont débarqué sur Paris à l'âge de 26 ans pour leur premier poste de fonctionnaire : papa et maman cherchent l'appartement, le trouvent, signent le bail, payent la caution, meublent l'appartement, l'équipent entièrement, et le remettent clé en main, même repeint.
Or cette mauvaise volonté qui m'est reprochée est d'autant plus injustifiée que, ce sont toujours les propritéaires et responsables d'agence, qui m'envoyaient sur les roses après chaque visite. J'ai même visité un studio de 12 m² au rez-de-chaussée, sans fenêtre, la porte à côté des poubelles de l'immeuble, dans une cour intérieure, unique passage pour accéder au dit immeuble, équipé d'un lavabo, et d'une pièce de 2m² faisant office de sanitaires : un mètre carré pour le W.C., un mètre carré pour le bac de douche, recouvert d'une planche en bois, pour ne pas mettre les pieds dans le bac de douche quand on est assis sur le W.C.. Nous étions cinq à vouloir ce logement, et malgré mon CDD de trois ans au SMIC dans l'Education Nationale, et les garants en béton que représentaient mes parents, je n'ai pas obtenu cette location à 350€ TCC par mois, deux mois de loyer de caution, plus un mois de loyer en frais d'agence à Alfortville, à 40 minutes de mon lieu de travail, minimum.
J'ai fais un dossier de demande H.L.M. à Evry. Les délais prévus pour l'obtention de c etype de logement sont interminables mais au point où j'en étais je n'avais plus rien à perdre. J'ai mis le paquet. Un dossier à la préfecture. Un dossier dans chacune des sociétés de logement H.L.M. de chaque département de la région Ile-de-France limitrophe ou proche en transport du département où je travaille. Et sur le conseil du proviseur du lycée où je travaille, un dossier à la Mairie d'Evry, où il a un ami. A chaque fois ce sont des dizaines, voire des vingtaines, et dans le cas de celui de la Mairie d'Evry, trente-neuf pièces justificatives de toute sorte, à photocopier. Je me suis organisé et ma production de dossier de demande H.L.M. est devenue quasi automatique et industrielle.
Le pire c'est quand le service logement de la Mairie d'Evry vous fait faire la queue deux heures pour le dépôt de votre dossier, et que, parce que la liste de pièces justificatives à joindre était erroné, vous devez vous payer la queue une deuxième fois le lendemain, pour vous entendre dire que d'après leur calcul, aucun bailleur social ne voudra de vous, vous ne gagnez pas assez d'argent, vous n'entrez pas dans les critères d'éligibilité, même pour le studio le moins cher. Là vous craquez. La pression est insuportable. Cela fait des semaines que vous luttez. Vous vous êtes tellement écrasée pour rentrer dans les différents cadres qu'on vous impose que vous ne savez même pas plus qui vous êtes. Et vous avez pleinement conscience que ce n'est pas la faute de la gentille dame du guichet qui en voit de toutes les couleurs défiler à son bureau pour l'examen des dossiers, mais qu'elle est votre seul interlocuteur, et qu'elle est complètement impuissante. Et vous pensez alors, que vous vous êtes en plus quelqu'un de cultivé, de battant, sachant lire, écrire, compter, connaissant un minimum ses droits… Comment font les émmigrés au chomage, ne parlant que quelques mots de français et n'en écrivant pas un mot, et ne sachant que peu comment fonctionne le système français, et devant pourtant loger une famille nombreuse avec un RMI ??? Là j'ai pleuré. Je ne pouvais plus contenir mon désespoir, mon dégout, ma haine de ce système humiliant, qui vous demande prouver que vous êtes pauvre, pour vous déclarer finallement que vous êtes trop pauvre pour le logement le moins cher du marché. Finallement la gentille dame du guichet à penser à une solution : je pouvais demander à la CAF un estimation d'allocation logement, et peut être qu'avec cette prévision de recette supplémentaire à mon budget, cela passerai. J'ai donc couru à la Caisse d'Allocation familiale toute proche, je me suis payée encore deux heures de queue là-bas, pour obtenir une estimation d'allocation, que je me suis empressée de rapporter à la Mairie, avant sa fermeture à 16h30, non sans avoir refait la queue interminable…
Une fois mon dossier jugé viable par le service social de la Mairie d'Evry, je devais attendre qu'ils me proposent un logement à visiter. Moins d'une semaine après le dépôt de mon dossier ils m'ont proposé un studio. Je suis allée le visiter entre midi et deux un mercredi. Je ne savais plus ce qu'il fallait en penser : non seulement je ne savais plus ce que je voulais, mais en plus je ne svaais plus ce qui était décent ou pas d'accepter. Heureusement une amie m'avait accompagné et elle m'a soufflé la réponse. En réalité ce logement était parfait. Mais j'étais perdue. Sur son conseil j'ai dit oui. Le jour même je les ai appellé pour leur faire part de ma réponse. Ils me disent alors que quels'un d'autre est sur le coup, et qu'ils me tiennent au courant. A partir de là je ne les ai plus laché. Je les ai rappellé deux fois par jour. Le vendredi ils m'ont donné leur accord. Et là il a fallut rendre mon dossier viable pour le bailleur : une autre galère !
J'ai donné mon accord mercredi 1er juin 2004, et se sont écoulé ensuite un mois de procédures administratives, les dossiers circulant par la poste, alors que le bureau du bailleur social était à 100 mètres de la Mairie, et que le logement était déjà disponible, et j'ai signé le bail le 28 juin 2004 : ma première location.
N'osant plus rien demander à personne, c'est une amie qui m'a présenté une fille qu'elle ne connaissait pas, et qui cherchait quelqu'un pour garder son appartement en son absence pour 35€ par semaine. Je me suis ainsi retrouvée parisienne, trois semaines et demi, métro La Chapelle. J'ai cohabité avec ses deux chats. Et elle n'était pas si absente que ça. C'est son dealer surtout, qui est passé un jour, en même temps que sa sœur (les deux ne se connaissant pas). Ne pouvant pas refuser l'hospitalité à sa sœur qui venait récupérer des vêtements, le dealer en a profité pour forcer l'entrée avec son pote. J'ai offert un thé à tout le monde. La sœur de mon hôte est parie avec les vêtements qu'elle était venue chercher. Et les deux lascars sont restés. Pendant que l'un me baratinait avec ses affaires de drogue qu'il devait laisser pour mon hôte, l'autre, très silencieux, profitait d'une seconde d'innatention de ma part (la seule) pour partir avec mon ordinateur portable. La suite des galères, entre les différents commissariats, et avec le dealer en question qui a continué à m'appeler sur mon portable un bon moment, pour que je ne porte pas plainte contre lui… je vous les épargne. Résultat des courses, mon ordinateur portable neuf perdu, avec tout le travail des quinze derniers jours : le début d'un travail très important. L'assurance m'a remboursée et je m'y suis retrouvée (heureusement j'étais assurée), mais bon, le travail perdu je ne le retrouverai jamais.
Le soir du vol, il n'était pas question que je retourne dans cet appartement. J'ai débarqué en pleurs chez une amie qui m'avait déjà hébergé plusieurs fois pour quelques jours. Je me suis entendue dire des choses vraiment pas très sympathiques, et surtout j'ai vraiment, plus que jamais, eu l'air de gêner son petit ami, resté furieusement silencieux. J'ai compris ce soir là que je ne pouvais pas rester une nuit de plus à cet endroit : je n'y étais pas bienvenue. Le lendemain je suis allée travailler, comme si de rien était. Je ne savais pas où je dormirai le soir même. J'ai appellé plusieurs personnes. Personne ne pouvait me recevoir. Aucun n'ose le dire comme ça, mais tous sont rétiscents, fuyants, face à ma demande. Seules deux de mes amies ont le courage de m'avouer qu'elles ne peuvent vraiment pas. Les autres, sont certainment persuadés que j'ai des tas d'amis, et que je pourrais trouver refuge ailleurs, mais ils oublient que ce sont eux, mes amis, et que s'ils disent non, je suis dehors ! Ils m'ont déjà beaucoup rendu service, mais j'ai encore besoin d'eux, et soudain, ils ne sont plus là.
Ce soir là j'ai dormi à la gare de Lyon, dans la salle méditerrannée, à vingt mètre d'un gars qui puait franchement le vin, accrochée à mon sac à dos, jusqu'à trois heures et demi, heure à laquelle les derniers agents S.N.C.F. ont vidé le hall. J'ai alors déambulé dans le quartier de Bastille, attendant que la gare ouvre vers cinq heure et demi, six heure. En fait je suis allée ensuite directement au travail.
Entre temps, une amie, qui ne pouvait pas m'héberger, avait fait des pieds et des mains auprès du proviseur du lycée dans lequel je travaillais, pour qu'il m'autorise à dormir dans le logement de fonction vide du lycée, sous sa responsabilité. Je ne me sentais vraiment pas le courage de lui en parler moi-même, mais c'est elle qui en a eu l'idée, et elle l'a fait pour moi. J'ai donc dormi trois semaines dans un appartement de 150 m² en duplex vide : quatre chambres, un immense salon double, deux salle-de-bains, une cuisine, un hall, des placards, un escalier en colimaçon… A une minute du couloir de l'administration du lycée où je travaillais alors. J'ai pété les plombs plus d'une fois dans cet immense appartement vide et silencieux de la banlieue parisienne, loin de toute animation, sans musique, sans rien pour cuisiner, à manger des kebabs tous les soirs, sans télé, sans livre, sans radio… Les week-ends surtout. Les heures à ne rien faire qui ne passaient pas. Et les instants durs que je venais de vivre : les remarques blessantes de certains de mes amis, les excuses de ceux qui ne pouvaient pas m'aider, l'odeur du clochard à gare de lyon,… tout ça résonnait sans cesse dans mon esprit malade, malade de tristesse. J'ai parlé toute seule. Souvent. Je me suis tapée la tête sur les murs. Quelque fois.
C'est alors que la même "amie" qui m'avait si "bien" accueillie le soir de mon vol, me demande de vider le grenier où j'avais entreposé mes affaires depuis mon déménagement. Je suis sans domicile. En train de squatter l'appartement de mon employeur. A la base c'est quand même elle qui m'a offert l'hospitalité de son grenier. Et elle me donne une semaine pour le vider, parce que dans une semaine ses parents débarquent, et qu'elle ne veut pas qu'ils sachent qu'elle m'a rendu service, et qu'elle veut que sa maison soit clean pour les recevoir. Je suis vraiment coincée mais je m'arrange : un ami m'aide le dimanche suivant à vider le grenier que je transvase dans l'appartement du proviseur. Le pire c'est que deux semaines plus tard je signe le bail pour un HLM. Je vais donc déménager deux fois en deux semaines : heureusement que je n'ai pas de meuble, ni d'électroménager.
Fin juin, j'ai signé mon bail. Depuis j'ai un domicile. Je n'ai pas changé de travail. Et ma vie n'a jamais été aussi stable en apparence. Encore quelques épreuves matérielles de plus sur ma route. Mais plus ou moins mineure. Je commence tout juste à voir où je vais.
Toutes ces épreuves, depuis que je suis revenue, m'ont donné l'impression de poursuivre mon voyage, en occident. A la différence, que mes galères sur les routes d'Amérique du sud étaient une expérience choisie. C'est en tout cas l'attitude que j'adopte pour y faire face : considérer toute cette mascarade comme un voyage, une expérience humaine. Je vis les choses avec du recul en toutes circonstances. Ou presque. J'essaye. Et je relativise au maximum ce que je vis.J'essaye. Même si souvent, les questions politiques qui m'animaient déjà pendant le voyage, m'assaillent soudainement, et que je me dis qu'il faut que je fasse quelque chose. Je me dis, qu'avant mon voyage, jamais je n'aurai pu survivre à tout ça…
Pourtant, je ne me fais vraiment pas à la sédentarité. Ni même à la tranquilité et à la régularité d'un travail. Je ne supporte pas la ville, ses immenses galeries commerciales, et l'agitation consumiériste de l'occident. Tout ça pour s'endetter. Tout ça pour compenser leur misère affective. Tout ça pour oublier l'aspect "dérisoire" de leur vie. Tout ça pour se donner l'illusion de vivre des rêves, par procuration, à travers des images virtuelles. Tout ça pour combler des frustrations, conditionnées par ce même système de valeur basé sur les apparences et la consommation. Tout ça pour un monde absurde et virtuel.

Tout ça je n'en veux pas. Ce voyage, et tout ce que j'ai vécu ici depuis mon retour me confortent dans l'idée que ma place n'est pas ici, mais ailleurs. N'importe où ailleurs.
Je repartirai. Dès que j'aurai réglé mes comptes ici, et que je me serai débarassée de tout ce qui m'y enchaîne encore. Je repartirai. Bientôt. Pour ne plus revenir. Ma vie est sur la route. Nulle part ailleurs.

2 mai 2003

Email Carlotta en America del Sur # 42

Vendredi 2 Mai 2003, Vieux-Fort.
pic42
J'ai reçu aujourd'hui le quatrième et dernier colis que je m'étais envoyé de Cuzco au Pérou. Plus de deux mois pour arriver, par avion. C'est poussé, non ? Mais bon, je suis HYPER contente et surtout très soulagée.
J'ai mis mes quarante pellicules à développer. Jje les ai envoyée en France : ici ça coûte trop cher. Je vous en enverrai dès que possible : les meilleures, et les moins bizarre. J'espère en faire une expo. Affaire à suivre. Ci-joint un montage de quelques souvenirs de voyage, pour partienter.
J'ai abandonné mon roman, mais pour mieux le recommencer. Enfin. J'espère. Je suis en panne sèche d'inspiration. La vie me comble.
Toujours pas de travail. Mais le gouvernement s'occupe de moi en m'envoyant un peu d'argent de poche tous les mois. Il faut dire que le cinéma et l'audiovisuel en Gwada ce n'est pas un secteur bouché, c'est un domaine, sans débouchés. Mais je prends la vie avec philosophie. J'écris des poèmes en attendant. Merci à tous. Chà !

30 mars 2003

Email Carlotta en America del Sur # 41 bis

Dimanche 30 mars 2003, Vieux-Fort, Guadeloupe, France.
La photo jointe au message #41, c’est le gars qui m’a volé au Brésil au début de mon voyage. Quand j’y pense !

pic41

30 mars 2003

Email Carlotta en America del Sur # 41

Dimanche 30 mars 2003, Vieux-Fort, Guadeloupe, France.
Une semaine que je suis revenue, ou presque. Et ce message est certainement le dernier que je vous écris. Il y a des choses que j’ai oublié de vous raconter.
Comme l’histoire de ce couple de jeunes brésiliens de 19 ans en fugue de chez leurs parents pour se marier contre leur avis. Je les ai rencontré sur un bateau sur l’Amazonie. Ils m’ont fait découvrir la musique électronique brésilienne (électro-jazz, dérivé de la bossa… un régal !).
Comme l’histoire de Kinver, ce péruvien avec qui j’ai voyagé quelques jours sur l’Amazonie. Infirmier et à 26 ans, il était au chômage depuis deux ans à Iquitos, quand sa petite amie, une pharmacienne de 30 ans, lui donne 500 dollars pour partir tenter sa chance à Manaus. Il dépense ses 500 dollars en une semaine, la trompe le premier jour de son arrivée à Manaus avec une jolie brésilienne encore plus paumée que lui, et me raconte sa vie… un tissu de mythomanie, de quoi faire un bon livre sur les gigolos !
J’ai oublié de vous parler de Big Brother Brésil, que j’ai regardé une semaine lors de mon voyage sur l’Amazonie. Que faire sur un bateau sinon regarder la télé dans son hamac. Des femmes plantureuses et toutes en plastique, et des hommes bodybuildés et tous en plastique. Et un poids chiche chacun dans la tête. Vive le Loft ! Définitivement moins éloigné de nos réalités (même si c’en est loin). La semaine que j’ai regardé, Dominhi et Vanessa s’affrontaient aux éliminations (car chez eux, c’est une personne qui gagne, pas un couple), or, dans BBB, Dominhi, un fils à papa hyper sensible, et Vanessa, une asiatique lookée indienne de la jungle, style vamp mangeuse d’hommes, une amazone quoi, sortent ensemble. Larmes garanties ?! Et bien non, car c’est la vamp qui est sortie du BBB par le public, et elle, s’est remise aussi vite de ses peines, qu’elle n’avait sauté sur ce qui était soit disant l’homme de sa vie.
Se faire entretenir est le moyen le plus sûr de survivre en Amérique du Sud, que l’on se fasse adopter pas un couple riche contre quelques menus travaux domestiques, que l’on sorte avec une personne qui travaille (le matérialisme est le premier critère d’amour dans les couples de courte durée), que l’on se contente d’accompagner les touristes au restaurent le soir, ou que l’on aille jusqu’à se prostituer, tous sexes confondus !
En ce moment passe au cinéma en France un film argentin extra, que j’ai vu là bas : Historias Minimas, de Carlos SORIN. Trois destins qui se croisent en Patagonie. Je vous le conseille. Ne serait-ce que pour voyager en Patagonie…
Cette année mes parents ont le double de mon âge. Je vais en avoir 26, ma mère en a 52, et mon père aussi va en avoir 52, cette année.
Et quand je vois tous mes cousins, de presque dix ans plus jeunes que moi, devenus des hommes et des femmes, quand je vois les plus jeunes au collège et au lycée, je me dis que je vieillis, mais je n’arrive pas à sentir le temps m’altérer.
Je me pose toujours des questions sur le généreux donateur qui m’a sorti de la mouise ce 10 mars 2003 en versant 500€ sur mon compte à Gentilly. J’aimerai bien savoir qui c’est afin de lui témoigner ma reconnaissance. Sans lui je n’aurai pas pu rentrer en Guadeloupe une semaine plus tôt, étant donné qu’un aller simple Cayenne-Pointe-à-Pitre coûte 335€. Ces prix sont une honte. Merci infiniment à lui.
Ici je suis bien. J’écoute en boucle les duos d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong, l’album de No Jazz, et Cat Steven. Mon roman avance. Je pensais à une rédaction éclair, mais ce sera plus long que prévu. Comme la guerre. Ce livre que je veux écrire est un peu une guerre contre moi-même de toute façon.
Je ne regarde même plus la télé. CNN, LCI, France 2, Karl Zéro, les Guignols, le Zapping. Tout m’énerve. Aujourd’hui j’ai battu mon record perso au Spider Solitaire sur l’ordinateur. Je suis nulle, mais je suis passée sous la barre des 110. C’est Marie-Anna qui m’a refilé le virus hier.
Demain je vais me mettre à la recherche d’un travail. Même si finalement, et apparemment, j’ai réussi à éviter la perte de mes allocations chômage.
Mon colis, le dernier que j’attende, celui que j’ai envoyé de Cuzco, n’arrive pas… Il est censé arriver en dix jours, et cela fait un mois. Enfin bref.
La vue panoramique que mes parents ont sur la baie des saintes depuis la galerie de leur maison à Vieux-Fort et les couchers de soleil suffisent à me combler. Alors la vie est belle. Merci à tous. Chà !

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25 mars 2003

Email Carlotta en America del Sur # 40

Vendredi 21 mars 2003, Matoury, Guyane française, France.
Merci à Cécile pour ses récits de sédentaire : je partage complètement ton avis sur les voyages, et sur les choix de la vie, et ton email est si bien écrit que j’ai presque envie de le publier. Merci aussi à tous les autres pour leurs messages.
Milles excuses pour les fautes de frappes : les Q à la place des A, par exemple. Il faut maintenant que je me réadapte au clavier AZERTY, et ce n’est pas une mince affaire : je cherche les lettres et surtout les caractères spéciaux, comme une débutante. Le QWERTY, c’est vraiment mieux. Régis avait raison.
C'est le premier obstacle de ma réadaptation à la vie ordinaire. Sinon, cela me fait plaisir de parler en français, et je trouve mes mots plus facilement que je ne pensais. Je galère juste avec l' ANPE et les Assedic, qui ne comprennent pas pourquoi je ne me suis pas présentée à mon entretien professionnel ce mois-ci. Tiens… pourquoi ? Je ne dirais pas la vérité bien sure, mais c’est à mon sens un pieux mensonge.
Et puis je reviens et ces cons font la guerre. Ça, ça m’énerve ! Je voulais juste manger un bon "poyo et morue", avec un "féwoz", et écouter mes disques de jazz. Pas pleurer devant la télé, devant le plus grand mélo qu’ait jamais produit l’Humanité : la Guerre.
Bref. Je me demande ce que je vais bien pouvoir faire pour gagner ma vie dans les prochains mois. J’ai toujours des rêves (écrire et publier un livre qui aurait du succès et qui me nourrirait toute ma vie sans que je ne bouge plus le petit doigt), mais il faut être réaliste parfois, et il va bien falloir que je trouve un sale boulot de rien du tout en attendant cet heureux événement, car il faut bien dire que le dit livre qui doit me délivrer de tout soucis financier jusqu'à la fin de mes jours est loin d’être écrit. Quoique.
Bref. Je reviens riche et ruinée. Riche d'expériences, et avec ce sentiment d'hyper puissance qui me laisse dire que les choses vont suivre leur cour toutes seules, sans  que je ne lutte trop. Et ruinée car la réalité dans laquelle je reviens est terrible. Suivant les critères de notre société je ne vaut rien : mon compte en banque est pas loin d’être vide, je n’ai pas de travail, et je ne suis même pas sure d'avoir une qualification universitaire qui ait une quelconque valeur aux yeux de qui que ce soit, malgré deux licences, une maîtrise, un DEA et une foule d'expériences parallèles à mes études.
Le plus terrible c’est que je me sens étrangère à ce système auquel j’avais déjà pris tellement de temps à me résigner : travailler, travailler, travailler, gagner des sous, gagner des sous, gagner des sous. Je reviens avec plus que jamais le sentiment d’être une extra-terrestre. Inadaptée. Autant vous dire que je n’aspire qu’à une chose, repartir.
Je suis contente de revoir mes proches. A commencer par mon cousin et sa femme, et surtout, leur fille qui en cinq mois a fait d’énorme progrès dans ce qui sont ses principaux objectifs pour l’instant : marcher et parler.
Et moi je sais toujours parler et marcher, mais j'ai perdu les acquis d'un certain nombre de mes apprentissages des dernières années : chercher un travail, faire un boulot qu’on aime pas pour en vivre. des choses pas naturelles du tout. Ma super puissance me pousse à faire ma vie loin de toutes ces contraintes, et du point de vue de ma socialisation et ma soumission au système, j’ai vraiment l’impression d’être revenue à la case départ.
J’ai voulu un moment visiter la Guyane, mais le vague à l'âme m'envahit, et je ne fais rien. Je suis allée à l'office du tourisme. J’en suis revenue avec un sac plein de brochures. Je pourrai visiter les îles du Salut et leur bagne, et la base spatiale, même si le prochain lancement n’est que le 8 avril, après mon retour.
Mais c'est ça, où je retourne tout de suite en Guadeloupe. Et après 48 heures de réflexion j'ai décidé : les 350 euros qui me reste vont me servir à acheter un aller simple Cayenne-Pointe-à-Pitre (2000 km). J’avais payé l’aller retour 320 euros, mais les dates sont absolument inéchangeables. Et Air France ayant le monopole sur la destination, les billets sont aussi chers que sur Pointe-à -Pitre - Paris (8000km). Voilà la dure réalité dans laquelle je reviens....
Mais bon. Lundi soir je prends l'avion, et lundi soir je serre mes parents dans mes bras, et lundi soir je recommence tout à zéro, avec un compte en banque vide, vide, vide !
Et en plus en ce moment je lis les Particules Elémentaires de Michel Houell-euh-becq. Ce n’est pas ça qui va me sortir de la morosité. La vie est fade dans l'occident sédentaire.

Mardi 25 mars 2003, Vieux-Fort, Guadeloupe.
Ou devrais-je écrire, 1er janvier de l'an 01 de la nouvelle ère. Je suis de retour dans mon milieu d'origine. Et j'ai plus que jamais le sentiment de ne plus y appartenir. Serrer mes parents et ma soeur dans mes bras à l'aéroport… Ce fût la bonne surprise à mon arrivée : j'y ai pensé pendant tout le voyage, et elle est venue... la télépathie, ça marche ! … Les serrer dans mes bras m'a suffit à réaliser ce qui m'arrive.
Dans l'avion en descendant sur la Guadeloupe, j'ai failli pleurer. Et quand je me suis assise sur les fauteuils à la sortie de la douane en attendant mes parents (l'avion est arrivé avec 20 minutes d'avance),  mon coeur battait très vite, puis je me suis calmée. Mais encore maintenant je sens mon coeur qui bat très fort. En fait, je ne sais pas si ce qui m'émeut le plus, c'est ce sentiment de décalage que je ressens par rapport à mon environnement, et qui fera que désormais mon rapport à la Réalité sera définitivement plus serein, ou si c'est le fait de revenir, tout simplement, un peu comme un astronaute qui aurait passé cinq mois et demi dans l'espace.
Hier soir maman m'a dit en allant se coucher. "Bonne nuit de retour chez toi". Je n'ai rien dit d'abord, et la première réponse qui m'est venue après un court silence, c'est d'abord que je ne rêvais pas en ce moment (ce qui est certainement le signe que je n'ai pas de réponses à y chercher, et que donc je n'ai pas de préoccupations), et que je n'avais pas la sensation d'être de retour chez moi. Et je pensais intérieurement que je n'ai plus de "chez moi". Ce qui n'est pas plus mal finalement.
Je suis chez mes parents pour quelques temps. Le temps de me refaire financièrement, et de me réintégrer petit à petit à certaines réalités matérielles de ce monde. J'ai plus que jamais les pieds sur Terre, mais j'ai désormais un détachement aux choses qui à mon avis sera mon atout des prochains jours pour dominer ma réalité, mieux la vivre.
Je suis installée dans la mezzanine au dessus du salon, à un mètre de l'ordinateur et d'Internet. Je vais pouvoir écrire. Je vais peut être réussir à vomir ce livre que je digère depuis quelques années. Jusqu'ici je me livre à une boulimie de lecture. Peut être à suivre une boulimie d'écriture ? J'écoute les disques que j'ai achetés sur mon chemin en Amérique du Sud. C'est étrange.
Les colis que je m'étais envoyé sont arrivés. Ils ont pris plus de temps que prévu, mais il n'en manque qu'un : celui que j'ai envoyé de Cuzco au Pérou, par avion. Je suis verte étant donné ce qu'il m'a couté. Il aurait peut-être mieux vallut que je le confie à FedEx, plutot qu'aux services de courrier nationnal. Merci de me lire, encore. Chà !

18 mars 2003

Email Carlotta en America del Sur # 39

Mardi 18 mars 2003, Belém, Brésil.
Dehors il y a une manifestation anti-impérialisme et anti-guerre, organisée par le Parti des Travailleur, celui de l'actuel président du Brésil, Lula. Je crois qu'en ce moment le Brésil est vraiment l'avenir de ce continent. Ils produisent beaucoup et presque tout ce qu'ils consomment. Ils ont du pétrole. Ils aiment leurs traditions et les vivent. Ils boivent du Coca-Cola, mais rien de remplacera la guarana. Et puis toutes ces femmes à demi nues dans la rue, c'est tout juste incroyable.
Je viens d'accompagner ma copine espagnole à son bus et je vous écrit avant d'aller prendre mon premier avion : Belem-Macapa. Merci d'avance à David et Natacha qui vont m'accueillir chez eux à Matoury malgré ma précipitation à fuir cette ville (et donc à débarquer en Guyane Française).
Ma maladie s'est calmée au cours de la journée, mais je n'ai rien pu mangé. Juste boire du yaourt d'abord, et maintenant de l'eau, parce que même l'eau me détruisait l'estomac. Mes vomissements, maux de tête et fièvre, ont disparu, mais je me sens encore toute faible. J'ai hâte de voir un médecin qui me dise pourquoi. Parce que là vraiment je ne comprends pas. Mis à part le fait que tout se passe dans ma poitrine et mon estomac, et que peut être est ce le signe que cela me fend le coeur de mettre fin à ces aventures, et que je n'ai pas le courage de revenir.
J'ai l'impression que revenir va me demander autant d'efforts d'adaptation, sinon plus, que de partir et de voyager. Je suis prête à poursuivre ce nomadisme toute ma vie, et il va juste falloir que je m'organise à mon retour pour rendre ce désir compatible avec mes autres objectifs.
Cet après midi, j'ai fini en apothéose mes aventures en allant me relaxer dans la petite piscine de l'hôtel Hilton de Belém avec Eliane. Entrée gratuite, mais consommation obligatoire. On a bu de l'eau. On était les seules à prendre un bain. L'autre, une créature de rêve du genre qu'on ne voit que dans les magasines, a bronzé toute l'après-midi. J'ai fait quelques longueurs de crawl et d'apnée, ce qui ne m'a pas trop coûté vu que la piscine faisait 20 mètres.
Mais avant ça, Eliane et moi sommes allées visiter la ville, et spécialement l'immense marcher de Belém. Deux heures de marche au milieu des épices et des méchantes odeurs de poissons. Et au bout du marché, nous avons trouvé un joli port (visiblement moins touristique), et de l'autre coté, un fort. Nous avons voulu visiter le fort mais sur notre route jusqu'à ses remparts un homme s'est précipité sur moi, et m'a arraché ma chaînette en or sur laquelle, avant, j'enfilais les perles de culture que me donnait ma maman, et qui depuis le Brésil portait un joli coquillage. Mon porte-bonheur.
Je lui ai crié dans sa langue natale qu'il l'a garde, et que comme il me l'avait volé, elle lui porterait la pouasse. Je l'ai aussi injurié, et il a même ralentit son pas pour m'écouter parce qu'il voyait que je ne courrait pas après lui. Enfin bref. C'est dommage, mais il aurait mieux fait de me voler mes lunettes de soleil : elles valent plus !
Le fait est que depuis que je voyage, je suis encore plus qu'avant détachée de la matière, et que j'ai même le sentiment que les 0,7 mètres cubes de choses que j'ai gardé en France dans la cave d'une amie sont du superflu. La prochaine fois, je voyage avec 5 kg maximum. Enfin bon voilà. Maintenant je vais prendre un taxi pour aller à l'aéroport. Merci de me lire. Buvez "Chà !".

18 mars 2003

Email Carlotta en America del Sur # 38

Mardi 18 mars 2003, Belém, Brésil...
Et la boucle est bouclée. Je suis définitivement sur le chemin du retour. A partir de maintenant, je rebrousse chemin jusqu'à ma Guadeloupe natale. Belém est la ville à partir de  laquelle j'ai commencé mon aventure sur la côte du Nordeste brésilien, et c’est d'ici que je reviens à vous, petit à petit. Je vais faire une pause de presque deux semaines en Guyane française, première chambre de décompression : des visages connus (la famille de mon cousin), un hébergement familial (sa maison), un pays inconnu de moi encore (la Guyane), et un rythme de voyage en baisse progressive (depuis déjà quelques jours : comment faire plus lent qu'un bateau sur l'Amazonie).
Il va falloir que je règle mes comptes avec les Assedic et l'ANPE, parce que le système dans notre pays n'est pas fait pour les voyageurs, même s'il les aide beaucoup sans le savoir. Puis deuxième chambre de décompression : la Guadeloupe, où là tout est connu de moi, les gens, la maison, le pays, et début du retour à des activités occidentales et sédentaires (chercher un travail, faire avancer mes projets professionnels, payer mes dettes).
Et pour finir, quand ma santé financière sera au top, retour en France, parce que c'est pas en Guadeloupe que je deviendrai cinéaste : j'espère que Jah-Ninh sera d'accord pour monter avec moi mes deux derniers courts métrages que les acteurs crèvent d'impatience de voir terminés, et que je trouverai vite un mixeur et un compositeur pour en fignoler le son.  Enfin bon. Je me suis fais une liste des choses que je dois faire pour revenir à la vie d'avant, qui sera aussi celle d'après, au moins pour un tant, car sinon je crois que je vais faire une petite dépression de type "post-natal".
Et là je me rends compte que j'ai oublié de vous parler des dauphins de l'Amazonie. Lors de mon expédition dans la jungle, mais aussi par hasard dans les eaux dégueulasses du port de Manaus, j'ai vu les dauphins gris et roses qui vivent en eau douce, dans le fleuve Amazone. Le rose est solitaire, et a une forme étrange, un peu plat et large, et avec un aileron plus étalé sur la longueur. Il est rose parce qu'il mange trop de crevettes. Et les autochtones ont peur de lui parce qu'il semblerait qu'il puisse mettre enceinte les femmes. Pour cette raison elles ne se baignent jamais quand il est dans les parages. Enfin.
Les dauphins de l'Amazone sont des dauphins qui vivaient dans l'Océan et se sont adapté aux modifications du milieu lorsque le bassin amazonien a émergé des eaux, transformant une zone d'Océan et de marécages, en une forêt. Cela s'est produit lors de la naissance de la Cordillère des Andes, laquelle a aussi changé le sens du cours de l'Amazone, qui avant prenait sa source dans la précordillère des Andes pour se jeter dans le Pacifique. C'est fou, non ?
J'ai certainement oublié d'autres choses mais cela me reviendra.
Encore merci pour vos messages. Je suis peu surprise par les réactions de certains à mon dernier mail. Merci à Régis pour sa proposition. Il m'écrit, "On va te faire un website : www.retrouverlejaiperdusonadresse.com ".
Je n'ai rien d'extraordinaire à vous raconter sur ces derniers jours. Je les ai passé sur des bateaux, à dormir dans un hamac, accompagnée d'Eliane, l'espagnole (déjà rencontrée en Argentine en janvier), et Oshrat, une israélienne rencontrée à Mendoza en Argentine en décembre, et retrouvée par hasard sur le quai de Santarem lors d'une correspondance. Leur compagnie fut fort agréable. Oshrat est partie ce matin très tôt pour Fortaleza en avion, et Eliane part ce soir pour Sao Luis en bus.
Moi j'ai la journée pour trouver mes billets de retour. Et dans quelques jours, ou quelques heures, je suis en Guyane française. Le seul hic de ces voyages en bateau, c'est la nourriture. Manger riz, poids rouges, et viande en ragoût à tous les repas c’est moyen, surtout pour mon estomac. Je ne sais pas si c’est ça, où la caipirinha que j'ai bu hier soir avec les filles, mais ce matin je me suis réveillée à 5h30 avec une superbe envie de vomir, comme cela ne m'était pas arrivé depuis la nuit des temps. Je vous passe les détails mais j'ai vomi tout, absolument tout ce qui restait dans mon estomac. Maux de têtes, vertiges quand je me lève, la sensation d'être faible. Je ne sais pas si c'est une gastro, la dengue, ou une intoxication alimentaire, mais je survivrai. J'ai petit déjeuné et re-belote, j'ai tout vomi. Le pire c'est que j'ai commencé à distribuer ma trousse de secours il y a quelques jours et que les cachets anti-vomitifs sont les premiers que j'ai donnés. Je vais de ce pas m'acheter des fruits au marché, et trouver un remède traditionnel à ce que j'ai, en attendant de consulter un médecin, ou une pharmacie française en Guyane. Voilà. Vous savez tout. Merci de me lire. Chà !

12 mars 2003

Email Carlotta en America del Sur # 37

Mercredi 12 mars 2003, Manaus, Brésil.
Certains d'entre vous l'ont bien deviné. L'Amazonie me plaît. Plus que tout ce que j'ai vu jusqu'ici. Je veux dire en terme de qualité de vie : le calme, la nature, sa diversité, l'eau, sa puissance,... Un peu plus et je me construisais une case en bois sur pilotis non loin d'une zone de mangrove, infestée par les anacondas et les piranhas. Miam ! Je crois que si un jour j'abandonne ma vie nomade (qui ne fait que commencer ici, grâce à vous, et je vous en remercie), je me sédentariserai quelque part dans la jungle amazonienne, mais pas trop loin non plus de l'océan, genre en Guyane française. Et là, à ceux qui me parlent depuis quelques temps de mes éventuelles difficultés à retourner à la vie "normale", je dirai, que oui, cela risque d'être un choc. Mais le bon coté des choses, c'est que j'ai prévu dans mon plan une chambre de décompression : la Guadeloupe, et le domicile parental. J'aurai donc peut être juste la sensation de revenir d'une année d'exil en France pour étudier, pour passer des vacances en Guadeloupe, et j'espère que mon séjour chez mes parents sur le chemin du retour ne durera pas plus de la durée raisonnable de vacances chez ses parents. La seule différence est que cette année je suis partie étudier en Amérique du sud, et que ma seule adresse fixe a été mon email. Bougre ! Cela fait une sacrée différence quand j'y pense. En plus je n'ai pas travaillé depuis longtemps, très longtemps... Je crois que c'est le retour au travail qui va être le plus dur. Mais faites moi confiance : je vous ferais partager l' "après" aussi ! Merci à tous pour vos messages, et particulièrement à "Markie Mark", qui a décidément le don de me remonter le moral pendant nos longues minutes de tchatche sur les messengers. Non, ce n'est pas le "vrai" Markie Mark. Je ne correspond pas avec ce chanteur de rap des années 90 (blanc, entouré d'un groupe de black exclusivement, Marcky Mark and the Funky Bunch), connu auparavant pour sa participation au groupe "New Kids On The Blocks" avec son frère Donnie (et oui... là je vois pleurer d'émotion et de nostalgie un certain nombre de mes lectrices nées entre 1978 et 1980), qui n'a connu en tant que chanteur de rap qu'un seul vrai succès... "Good vibrations" ("Bringing this to the entire nation, Black, white, red, brown, Feel the vibration..."), plein de bons sentiments... (Album "Music for the People"), passé en boucle sur MTV en 1991, et aussi mannequin, pour Calvin Klein et ses shorts boxer, entre autre, et puis devenu acteur sous le nom de Mark Wahlberg (son vrai nom). Il a été pas mauvais acteur dans The Yards (un policier cynique très bon), En Pleine tempête (un film catastrophe hollywoodien qui bouge tant, que pour le voir, il faut prévoir un sac, en cas de mal de mer), et Les Rois du désert (un film original, sur la guerre du golf et les medias, du point de vue des soldats, et petits larcins). Mais a tout gaché dans ce film ridicule, réalisé par le néanmoins talentueux Tim Burton : La Planète des Singes. Photo ci-joint. Ça, c'était ma minute "culturelle", ou comment faire connaître un cancre de la musique à des gens respectables comme vous. Vous ai-je dit qu'une fois j'ai bien cru avoir rencontré l'homme de ma vie ? Non, pas Mark Wahlberg. Pendant ce voyage, au mois de janvier. On s'est contemplé mutuellement pendant trois jours. J'ai pris du temps à m'adapter à son accent un peu spécial (genre paysan en pire). Je me suis laissée flattée par ses sourires, ai rêvé de ses mains musclées d'aventurier sur ma peau, et ai été franchement gênée par sa façon de me regarder (gênée du genre : "Monsieur, je vous en prie... restez digne !... Montons dans votre chambre plutôt !»). Un jour dans la cuisine de l'auberge de jeunesse, il tremblait d'avoir bu trop de café et de maté pour rester éveillé, et discuter à mes cotés toute la nuit. Je lui ai pris la main et me suis exclamée : "Oh my god ! Your hands are shaking! You should stop drinking coffee!" Il n'a pas bougé son regard de mon visage, mes yeux sont remontés vers les siens s'attardant sur ses belles épaules. Et m'apercevant de ce dont je me doutais (il me regardait avec un désir auquel je ne pouvais pas répondre, troublée par la rapidité des événements), je lui ai lâché la main brusquement transformant son doux sourire en une moue désappointée, et suis sortie précipitamment de la pièce comme si de rien n'était. Finalement il est parti en me laissant ses coordonnées, et voulant faire la fière et la fille pas intéressée pour un sou (mon oeil, je refoulais mes désirs, et mes sentiments naissants se lisaient comme le nez au milieu de la figure chaque fois qu'il entrait dans un périmètre de 10 mètres autour de moi), j'ai pris le bout de papier d'un air distrait et lui ai dit "ciao!" comme à n'importe quel autre voyageur-aventurier déjà rencontré, sans lui laisser l'once d'un espoir que je lui écrive, et surtout ne lui laissant pas la possibilité de la faire (ne lui laissant pas mes coordonnées). J'ai enfouit négligemment le bout de papier dans la poche de mon jogging des jours de "limbé" (terme créole signifiant "chagrin d'amour", et dont l'origine éthymologique est certainemnt proche du mot portugais, "lembrar", signifiant, "se souvenir avec tristesse, nostalgie"). Une semaine plus tard, obsédée par le souvenir de son sourire, de sa voix, de ses mains, et de son regard sur moi, je me décide à lui écrire, et cherchant le papier dans ma poche, je m'aperçoit qu'il est tout écrabouillé, par la lessive que depuis il a enduré. Résultat des courses, quarante-trois jours plus tard, je navigue sur les flots du fleuve amazone, allongée dans un hamac, devant une télé qui parle en portugais, et à laquelle je ne comprends pas grand chose, parce que mes pensées, elles, sont encore toute écrabouillées, par la lessive qu'elle a enduré. Il ne me reste que quelques souvenirs : un sourire désappointé, une main brusquement lâchée, une voix qui résonne encore en moi, et un regard qui même s'il ne se repose jamais sur moi, m'a donné un aperçu du parfait bonheur. Enfin bref. J'ai lu un livre de Madame Françoise Sagan. Derrière l'épaule, ou quelque chose comme ça : elle relit ses livres et en profites pour raconter sa vie, ou plutôt, elle répond à la demande qu'on lui fait de raconter sa vie, mais trouve l'idée judicieuse de le faire à travers ses livres, et du coup raconte et critique ses livres, et ne dit rien ou presque de sa vie. C'est le premier que je lise d'elle, et en réalité le seul livre en français que j'ai trouvé dans une librairie à l'aéroport de Lima, qui ne soit pas du Christian Jacq (romans historiques sur les pharaons, lecture facile, que l'on trouve beaucoup dans les gares, et visiblement partout sur la planète), ou un classique débile que tout le monde a lu (même si j'en ai lu peu finalement). Pourquoi je parle de ça ? Je ne sais plus. Ah si ! Oui. Madame Sagan a le même défaut que moi : elle écrit presque comme elle parle (et j'imagine qu'elle doit bien parler, car son vocabulaire est soutenu, bien que son style soit libre, du fait de l'oralité), et écrit souvent "bref...". Ce qui n'est pas censé faire de moi un écrivain par la simple identification d'un tique de langage, mais qui me rassure plutôt sur mes tiques de langages. D'ailleurs, de ce que j'ai cru comprendre de Madame Sagan, nous avons peu en commun : elle est bien plus pessimiste, ou réaliste (tout dépend de quel point de vue on se situe : le sien, ou le mien), que moi, et surtout me semble être quelqu'un de relativement sévère dans sa façon d'être passionnée. Enfin bref. Je pense qu'elle doit être d'un signe d'Air  ("plaire aux autres" ou "communiquer à outrance"), et moi je suis de Feu ! Elle a écrit son premier livre à 19 ans et je n'en ai pas encore écrit la moitié d'un à 25, presque 26. Depuis un mois que je n'ai rien écrit de bien sérieux sur mon voyage, ils s'en sont passés des choses. Mais pour ne pas trop vous ennuyer, je vais essayer d'être concise. Faire des phrases courtes et précises. Comme Madame Sagan. À moins que la mauvaise disciple de Proust que je suis (en terme de grammaire j'entends), ne reprennent le dessus. J'ai quitté La Paz, capitale de la Bolivie, pour Copacabana, le village bolivien au bord du Lac Titicaca, le 17 février 2003. Dans l'auberge de jeunesse où j'ai atterrit, dans les toilettes sous l'escalier, les murs étaient d'un bleu divin, et au même niveau que la chasse d'eau, mais de l'autre coté de la cuve, pendait un clou au bout d'un fil, destiné à un usage inattendu : graver des messages dans le plâtre du mur. Le lendemain j'ai pris le bateau pour visiter les îles boliviennes du Lac : l'île du Soleil et celle de la Lune. La plupart des gens le font en un jour. D'autre n'en font qu'une et à fond, et certains campent sur l'une (le Soleil) quelques jours. Les visites prennent donc parfois des dimensions industrielles, parce que tout le monde part en même temps, du même endroit, et dispose du même temps (très peu), pour visiter chaque endroit où le bateau les laisse dans son circuit. Le jour où j'ai visité le nord du Soleil (... n'est-ce pas extraordinaire de dire des choses poétiques comme cela ?), le musée était fermé et les guides en grève. Officiellement. Bien sure ils ont acceptés de nous guider, en travaillant au noir, tout bénef pour eux, et ils nous ont demander de payer ce qu'on estimait être juste. Des ruines, des tables de sacrifices, des pierres sacrées, la silhouette difficile à distinguer d'un puma ou d'un condor sur le relief d'un rocher, ou l'arrête d'une falaise ou d'une montagne. Les gens dans cette région du monde voient des pumas et des condors, animaux sacrés dans leurs traditions, partout. A se demander s'ils n'abusent pas un peu trop de la coca ou de la muña (autre plante aux même effets, ressemblant à la menthe poivré, et servant aussi à lutter contre l'altitude, et qui contrairement à la coca, pousse en haute altitude). Cela a été une journée à marcher, de site en site, au milieu d'un groupe de 50 à 60 touristes, suivant les organisateurs (30-40 d'après la touriste que je suis). Sympathique de marcher. Pénible de le faire en troupeau. Heureusement les seuls français du groupe étaient des gens distingués, cultivés et discrets (comme moi), et je n'ai pas été exaspérée (pour une fois) par des réflexions stériles dans ma langue natale. Pour ma part j'ai dormi une nuit dans un hôtel du sud du Soleil, alors que le troupeau reprenait le bateau pour le continent. Au sud du Soleil, le village est à 200 ou 300 mètres d'altitudes au dessus du niveau du Lac, et pour le rejoindre à partir du débarcadère, les Incas (ces génies) ont construit un immense escalier : l'escalier de l'Inca. Les espagnols à leur arrivée, et les archéologues  encore ignorants des débuts de la découverte de ces trésors culturels, on tout appelé "de l'Inca", ce qui ne prouve pas qu'aucun Inca ne soit passé par là, mais il semblerait que là, il s'agisse plutôt de Tihuanaco ou d'Ahimara. Enfin bon. Peu importe. L'escalier en question est du genre abrupte et sans palier, et y ruisselle de l'eau douce, venue du Lac et pompée je ne sais comment pour procurer aux habitants une source jaillissante, artificielle, la source de l'Inca. Monter ces quelques marches a été une expérience physique et spirituelle fort intéressante. Car je me suis mise en tête de les monter, avec mon sac à dos, et d'un seul trait, alors que même les porteurs qui le font cinq fois pas jours depuis 40 ans, font deux ou trois pauses. Bref. Je suis arrivée en haut en sueur, au bord de l'arrêt cardiaque, mais non moins satisfaite de mon exploit (personnel), rehaussé par le fait que j'avais du tenir la conversation à Rodrigo, 10 ans, un jeune habitant du Soleil, qui connaissait tout sur chaque brindille d'herbe, et qui tenait à m'accompagner, prétendant connaître le meilleur hôtel pas cher de l'île (information qui m'a naturellement coûté quelques Bolivianos). Le jeune Rodrigo m'a d'ailleurs bien étonné. Il me dit "hola". Je lui dis "hola". Et il me dit "eres francesa ?". Et là je le regarde perplexe. C'était bien la première fois qu'on me faisait cette blague. Je lui demande comment il a deviné, ou qui lui a dit. Et il me dit "la voix". Et développe son argument : "les gens qui parlent espagnols ont une voix nasale, et les anglophones une voix souvent haut perchée (les femmes surtout, me dit-il), ou qui tire vers l'aigu dans l'intonation, et les français, ont un ton monotone, même quand ils parlent espagnol". J'étais scotchée. Pour en revenir à mon escalier d'ailleurs. J'ai eu beau ne pas m'arrêter dans mon ascension, j'ai été doublée par des porteurs, qui se sont arrêtés deux ou trois fois, mais qui courraient quasiment sur les escaliers, portant à dos, dans une immense toile épaisse, deux, voir trois sac-à-dos, ou valise de touristes, pour quelques misérables bolivianos. Précision : il faut 7 ou 8 bolivianos pour faire un euro. L'ascension a été dure mais purée : qu'est-ce que la vue était belle arrivée là haut ! Ma chambre donnait sur une terrasse, et sans les nuages qui encombrait l'horizon, j'aurai pu assister au plus beau coucher de soleil de ma vie. J'ai par contre assisté au plus bel orage de ma vie. Mais rien ne vaut des éclairs sur le Lac Titicaca, croyez moi. Vous avez l'impression déjà que ce Lac est sans limite, mais le ciel au dessus, c'est le lac puissance dix, et les éclairs prennent une dimension terrifiante. Qu'est ce que j'aime les orages. Bien plus que les couchers de soleil. Sur le trajet en bateau qui mène aux îles, on passe devant la caserne de la marine. Et au petit matin ils font leur inspection générale. J'ai assisté à ça deux fois. Mais je crois que le plus choquant, car une inspection générale militaire n'a rien de choquant même si c'est toujours un peu ridicule toutes ces conventions et ces types qui serrent les fesses pour mieux bomber le torse... Le choquant c'est ce qui est écrit en lettres noires et immenses sur le mur de la caserne : "El mar nos pertenece de derecho, recuperarla es nuestro deber" ("La mer nous appartient de droit, la récupérer est notre devoir"). Petit détail... La Bolivie (si vous visualisez bien) est enclavée, sans frontière maritime, comme la Suisse, mais cela n'a pas toujours été le cas. Elle a perdu les territoires du bord de mer lors d'une guerre stupide contre le Chili au siècle dernier. C'est aujourd'hui tout le nord du Chili. Le Pérou, alors associé à la Bolivie politiquement, a perdu un peu au sud aussi. La Guerre du Pacifique. La Bolivie a rompu un accord politique, et le Chili a attaqué. Avec tout ce que le Chili a grignoté comme territoire sur ses voisins, je me demande quelle superficie ce pays aurait aujourd'hui, sans cette politique d'extension territoriale. Il faut dire qu'avec un pays tout en longueur comme ça, coincé entre l'océan et la cordillère des Andes, y'a de quoi se sentir à l'étroit : on ne voyage pas d'est en ouest au Chili, ni l'inverse, uniquement du sud au nord et réciproquement. Sur le chemin du retour, le bateau a embarqué un groupe de touristes français, des jeunes. Et ça a été 20 minutes de palabres en mauvais espagnol pour contester le prix. Bon. Qu'ils voyagent sans sous, c'est un fait et cela se comprend. Qu'ils essayent de négocier le prix, c'est complètement légitime. Mais qu'ils traitent le patron de l'embarcation de voleur parce que l'aller + le retour coûte plus cher que l'aller-retour en un jour, c'est abusé ! Mais que voulez vous. Le pire, c'est qu'ils n'ont vraiment pas été très malins, parce que finalement ils ont payé plein pot, le patron menaçant de les débarquer de force s'ils ne payaient pas. S'ils avaient joué la carte de l'honnêteté : "J'ai pas assez de sous, est-ce que vous voulez bien nous faire une ristourne", cela aurait peut être marché, qui sait ? Mais il est vrai que les boliviens sont durs en affaire. Ils vous disent le prix à mi-voix, donnant l'impression qu'ils en ont presque honte, mais après ils n'en démordent pas, et pas question de négocier, même si vous leur acheter tout leur stock ! Le bateau en question était tant chargé de passagers (certainement plus qu'il ne devrait), qu'il grinçait de tous les cotés, et à en avoir observé la légère charpente, je ne serais pas étonnée que son pont supérieur s'effondre un jour sur le pont inférieur. Sur les îles du Soleil et de la Lune, on est constamment harcelé, dès qu'on a l'air de venir d'ailleurs. D'ailleurs ! J'ai compris pourquoi dans les endroits touristiques, ils gardaient leurs costumes traditionnels. Pas seulement pour faire couleurs locales. Je connais quelques jeunes boliviens et péruviens qui s'en passeraient bien, mais pour distinguer plus vite le touriste du local, au milieu de la foule, car il y en a qui sont touristes, et qui sont couleur (de peau) locale, si vous voyez ce que je veux dire. Ce ne sont pas tous des gringos phosphorescents. Une dame m'a proposé de me prendre en photo, moi, avec son lama. Elle fournit le lama. Et je fournis l'appareil photo, la pellicule, le développement, le modèle et le photographe. Pour deux dollars. Pas des bolivianos. Des dollars, elle voulait. Je lui ai fait un sourire de refus, et j'ai cru qu'elle allait me cracher à la figure. Elle a insisté. Et je lui ai dit que j'avais rencontré beaucoup de lamas en Amérique du Sud, des libres et des moins libres, des fournisseurs de laines et de viandes, tous très sympathiques, que son lama était super sexy, mais que c'était la première fois que je voyais un lama mannequin, et que j'en réfèrerai à mes amis qui travaillent dans la mode à Paris... (Jérémy, toi qui connaîs du monde, peux-tu faire quelque chose pour la dame et son lama ?) Elle m'a regardé perplexe... Je me demande pourquoi ! La Bolivie. Le Pérou. Ces pays sont infestés par un commerce touristique agressif, et si cela continue comme ça, il va falloir arrêter d'éditer des guides à vocation "routard" pour ces pays parce que c'est insupportable. Le pire, c'est que ceux qui ont vraiment besoin d'aide ne sont pas sur les lieux touristiques. Ce tourisme hyper actif est tellement bien organisé, que le même Fernando qui s'occupait du passage de la frontière en deux langues (espagnol et anglais) entre la Bolivie et le Pérou, de Copacabana à Puno, a réussit à me trouver l'un des hôtels les moins chers de Puno (où il travaille), et m'organiser une excursion sur les îles péruviennes, et me trouver un billet de bus pour Cuzco sans que je bouge, et même me prêter son sac à dos, parce que le mien, trop grand, aurait été encombrant pour deux jours sur les îles péruviennes du lac Titicaca. Sacré Fernando ! J'espère qu'il s'est fait une belle commission sur ce coup là parce que je ne lui ai même pas laissé un pourboire. Lors de cette excursion sur les îles péruviennes du Lac Titicaca je suis complètement revenue de mes illusions d'authenticité de la culture Quechua et Ahimara au 21ème siècle. Le choc ça a été les îles flottantes de Los Uros, mais là encore, je crois que les touristes ont battus le degré d'affliction des habitants, avides de frics, et ne vendant même pas de jolis objets d'artisanat. Il y avait là un groupe de français (encore eux), genre la cinquantaine passée, dont les femmes s'étaient mises en tête d'apprendre aux enfants des comptines en français, le tout, en faisant la ronde. "Frère Jacques, Frère Jacques... dormez vous ?... dormez vous ?... Sonnez les matines..." Tu parles d'un échange culturel. Bien sur, après ils ont mitraillés les gosses de photos (gratuitement pour une fois), et sans leur demander leur avis, comme d'habitude, comme s'ils étaient dans un zoo, et que le fait de prendre des photos des "spécimens" de la faune locale étaient compris dans le prix de leur tour. Je me demande ce qu'ils doivent dire à leurs familles et amis quand ils montrent une pellicule entière de photo de gosses dont ils ne connaissent même pas les noms. "Ça, c'est les enfants du village avec qui ont a joué pendant une heure... Mon dieu... Qu'est-ce qu'ils nous ont épuisé ! C'est qu'ils en redemandaient en plus..." Est-ce qu'en tout touriste français, se cachent un animateur BAFA doublé d'un mauvais paparazzi à tendance reportage ethnique ? Ensuite, on est arrivé sur une grande île, une vraie. Pas une île artificielle fabriquée par l'accumulation de roseaux séchés, et où on peut chopper le mal de mer les jours de grands vents sur le Lac Titicaca (ce que sont Los Uros). Le groupe de visiteurs a été réparti dans des familles d'accueil sur l'île, qui héberge quatre communautés de religions différentes, mais qui fonctionnent toutes sur le partage total des richesses et le troc. Ils portent tous le costume traditionnel à l'arrivée des bateaux, et dès qu'on arrive à la maisonh hop ! On enfile un jean et des baskets, comme tout le monde sur cette planète. Mais là où ils prennent une jolie revanche sur cet occident qui se réjouit de leurs grimaces, c'est le jour du bal. Tous les touristes doivent porter le costume traditionnel et ils les font danser au rythme fou des musiques ancestrales de l'île. Et quand je dis au rythme fou, je pèse mes mots. Cette danse est pire que faire un jogging de une heure à la vitesse d'un sprint. Ça saute, ça court, ça secoue, mais jamais cela ne danse... Et le pire c'est le costume. Une jupe lourde et plissée sur plusieurs jupons de la même longueur, un corsage blanc et fleuri, et un voile. Un voile noir à "poser" sur la tête et à garder en équilibre. Avec ma coupe de cheveux, c'est devenu un châle au bout de 10 minutes. Heureusement ils ne nous ont pas imposé les bas de laine, et j'ai pu garder mon pantalon en dessous. Et heureusement pour moi, les filles de l'île ne sont pas très minces, et je suis rentrée dans le costume de mon hôte. Par contre, elles ne sont pas très grandes, et avec mon petit un mètre soixante-cinq, le corsage à manche longue m'a plié les coudes toute la soirée. Les garçons eux n'ont pas eu trop à se plaindre. Ils avaient juste à mettre un bonnet péruvien et un poncho. Qu'est-ce que j'aurai aimé être un garçon ce jour là ! En revenant du bal j'ai glissé sur un cailloux, j'ai fait un grand écart avec mes jupons, et mon pantalon s'est décousu dans tout son long. Heureusement (encore), mes hôtes avaient un peu de fil, juste ce qu'il fallait pour recoudre la couture démontée. Sur cette île, ils manque de beaucoup de choses de l'extérieur, parce qu'elle leur coûtent cher, alors comme c'était la rentrée des classes, j'ai amené des cahiers, des crayons, des livres, et parce que j'en ai marre de voir de jolie visages troués par l'absence de dents dans ce pays, du dentifrice et des brosses à dents. Mes hôtes ne s'en sont pas offusqués, mais en ont été surpris, et comme ils n'ont pas d'enfants qui soient en âge d'aller à l'école, c'est leur fille qui a récupéré le matériel scolaire pour ses élèves, des personnes âgées à qui elle apprend à écrire et à lire. J'ai partagé ma famille d'accueil avec les deux autres du groupe qui voyageaient seuls. Alan, un écossais de 26 ans, qui travaille dans une banque, et qui voyageait en Amérique du sud après avoir passé cinq mois à Mexico : pas bavard mais pas bizarre. Et Thierry, un breton de 41 ans, commerçant en article exotiques, et en voyage autour du monde pour trouver des objets rares, lier des contacts et ramener des stocks pour sa boutique. Ce dernier n'a pas arrêté de draguer notre hôte, Geinny (que j'ai appelé Jenny pendant 24 heures), jusqu'à lui demander son signe astrologique (un Lion et une Sagittaire... pourquoi pas !) et lui voler un bisous sur la joue à l'en faire rougir de honte. Mais je me suis franchement bien marée avec Alan et Thierry. Nous avons visité un temple du Soleil (il y en a partout), et le guide nous a fait marché trois tours autour du temple pour méditer. Vu que les anglais du groupe parlaient très fort, je n'ai pas trop eu l'opportunité de me recueillir. Mais cet endroit portait vraiment à la méditation. Tout ceci s'est passé sur l'île d'Amantanil, où nous avons passé la nuit après avoir visité les villages flottants fort connus de part le monde, pour être précisément flottants, et du nom de "Los Uros". Joli, mais saturé de ce que j'appellerai des "traditions touristiquo-lucratives". Le lendemain nous avons fait escale à Taquile, où ce sont les hommes qui tricotent, mais les articles tricotés coûtent deux à trois fois plus cher qu'ailleurs, sous prétexte qu'ils seraient meilleurs. Vous voyez le genre ! Je ne suis pas sure qu'ils aient célébré la journée de la femme à Taquile. De retour à Puno, j'ai mangé du poulet-frites, la spécialité culinaire du Pérou pauvre, comme partout ailleurs sur cette planète. Mais plus encore qu'ailleurs, car les pomme-de-terre sont endémiques du Pérou. Les gens des îles visitées sont végétariens, pas par choix, mais faute de viande et de possibilité d'élevage ! Et le lendemain, je suis partie en bus pour Cuzco, et là par la fenêtre du bus, j'ai découvert le Pérou. La face caché de Puno. Une décharge publique sur les rives du Lac Titicaca, du côté où les touristes ne vont pas. Des chiens errants et des enfants jouant dedans, à coté d'un homme y faisant ses besoins. Je me doutais bien qu'il devait il y avoir anguille sous roche, mais j'ai vraiment eu l'impression d'être Jim Carrey dans The Truman Show, quand il découvre que toute sa vie est une mise en scène télévisuelle. Nous avons fait escale dans une ville envahie par les pousse-pousse à vélo. A Iquitos plus tard je devrai découvrir les pousse-pousse à moteur, une vraie nuisance sonore et olfactive. Parfois au Pérou (en Bolivie, ils ont plus de fierté me semble-t-il), on a l'impression que le marchand qui vous aborde dans la rue pour vous refourguer un gant, un bonnet, ou une chaussette dont vous n'avez pas besoin, pleure presque pour vous convaincre. Ils ne vendent pas, ils mendient. Mais sur un ton qui fait peur la première fois. Va-t-il sortir son couteau, ou me jeter dans la boue ? Parce que ça, de la boue, y'en a partout à la saison des pluies : il y en a presque moins dans la jungle que dans les villes. Il faut bien plus de détermination qu'ailleurs, pour résister. Quoique je n'ai jamais revécu ce déjeuner sur les terrasses de la rue piétonne de Mendoza (Argentine), où un groupe d'une douzaine de mendiants étaient venus à ma table me demander de l'argent à tour de rôle jusqu'à envoyer leur mère pour m'insulter. Arrivée à Cuzco, un vrai bonheur. Je vous le dis. De toutes les villes que j'ai vues en Amérique du sud, c'est de loin la plus belle. Hyper touristique certes, mais magnifique. Elle d'ailleurs, attrayante en elle-même, pas seulement à cause de la proximité de machu Pichu. Et c'est rare que je trouve du charme à une ville. Je garde le souvenir de ses vielles bâtisses de pierres  grises et marrons, et les arcades de la place centrale, et ses rues pavées, et la pluie et ses lumières le soir. Un régal ! En plus j'y ai trouvé un super restaurant pas cher, et j'y ai mangé des choses typiques, et différentes de partout ailleurs. Je n'ai pas testé le cochon d'inde, la spécialité de l'endroit, mais sans regrets. J'ai été kidnappée à la station de bus par une jeune femme qui travaillait (soi-disant) pour l'hôtel auquel je voulais aller (le moins cher, encore), et finalement j'ai découvert qu'elle travaillait "avec" eux, et qu'elle avait une agence de tourisme. Elle m'a trouvé un billet d'avion pas trop cher pour Iquitos, et je lui ai acheté ses services pour aller visiter Machu Pichu. Vu que suis arrivée un samedi à Cuzco, et que je ne voulais pas perdre de temps (parce que dans mon esprit, il me restait peu de temps), j'ai opté pour la facilité. Dimanche, j'étais dans un bus à visiter d'autres ruines, incas et pré-incas, le guide a essayé de me refourguer pour moitié prix l'entrée d'un site archéologique, ce que j'ai accepté. B'en ouais !... c'est du fric qui ne permettra pas d'entretenir le site, mais c'est une économie de 5 dollars US. Dimanche soir, je prenais le train pour Agua Calientes (le village le plus proche de Machu Pichu), et lundi matin à l'aube, j'étais au cœur de Machu Pichu. Wouaw ! Je ne vous dis que ça. Ou plutot : WOUAOUUUU ! J'ai beaucoup marché le jour de Machu Pichu. Je suis montée en bus (c'étais inclus dans le tour, ce qui m'a évité deux heures de marche). Mais j'ai marché une heure jusqu'à la porte du Soleil, sur un petit sentier avec d'un coté la jungle et de l'autre un précipice de plusieurs dizaines de mètres. Le tout, c’est d'être bien réveillé et surtout pas bourré, parce qu'il n'y a pas vraiment de garde-fou. Et puis le chemin continuait, alors je l'ai suivi, me disant que c'était le sentier de retour à la cité de Machu Pichu. Mais non. Il existe un chemin de quatre ou cinq jours qui mène à Machu Pichu à travers la jungle et les sommets alentours. Ce chemin s'appelle "El Camino del...", devinez quoi ? "Camino del INCA", ou "chemin de l'Inca" si vous préférez. Ça aussi, il y en a partout au Pérou. Bref. C'est un trekking qui permet d'arriver à Machu Pichu en marchant sur le sentier d'accès des péruviens de l'époque.  Et bien j'ai tout simplement commencé à le redescendre, pendant une heure, sans savoir. Puis au bout d'une heure ça m'a fait tilt. Bizarre ! Je descends beaucoup. Bon d'accord, de la Cité à la porte du Soleil, cela grimpait un peu, mais c'est étrange que cela descende autant, et puis au bout d'une heure, je devrais apercevoir les premières ruines de la cité. A ce rythme là je me serai retrouvée à Cuzco en trois jours sans manger et sans boire, et probablement sans dormir aussi. Et là j'ai compris. Je suis revenue sur mes pas jusqu'à la porte dorée, puis suis retournée à la cité par là où j'étais venue. Au total presque 4 heures de marche fort sympathique, car la vue, du haut des montagnes, et entouré de la jungle, et au milieu des brumes matinales : un délice. Puis j'ai rejoint à 11h le guide qui devait me présenter l'histoire du site. Deux heures de visite fort intéressante, et d'autant plus captivante que Willy, le guide, avait des talents de poètes. Son débit, et certaines phrases récurrentes, plus quelques rimes (en espagnol, la visite), et il m'a fait pensé, sinon à un slameur, en tout cas à un bon professeur. Et heureusement, il a finit sa visite à 13h30, car 14h était la dernière limite pour passer le contrôle à l'entrée d'une autre marche que je voulais faire : l'ascension du Waina Pichu. Machu Pichu a été ainsi nommée par l'états-unien qui l'a découverte, car en réalité on ne sait rien, ou très peu, des gens qui vivaient dans cette cité, abandonnée avant l'arrivée des conquistadors. Et non pas, ultime refuge des Incas comme l'a pensé d'abord cet explorateur états-unien, qui a semé la pagaille pas mal d'années, dans la compréhension de l'histoire des Incas, par ses déductions hâtives. Machu Pichu a été construite par on ne sait quelles prouesses techniques, au sommet d'une montagne au coeur de la jungle péruvienne, et autour, il y a d'autres sommets, dont un sur lequel on trouve aussi quelques habitations, et un immense escalier abrupte qui y monte : c'est le Waina Pichu. Et comme certains n'en reviennent pas, ayant glissé sur une pierre mouillée de l'escalier avec leurs escarpins, il faut inscrire ses noms et numéros de passeport, le tout avec signature à l'entrée et à la sortie, avec heure d'entrée et de sortie, histoire qu'on sache au moins le nom de celui qui a disparu... Waina Pichu c'est 300 mètres d'escalade balisée. Une heure d'ascension à la vitesse de Charlotte qui est dans la moyenne : les personnes âgées mettent deux heures, et les gens du pays une demi heure (5 minutes pour les vantards). Et arrivé là haut, je n'étais même pas essoufflée, car j'avais vraiment pris tout mon temps. Mais en montant, arrivée à la moitié à peu près, j'ai eu un doute. Suis capable d'aller plus loin? Et puis j'ai croisé un jeune argentin. Il a du voir que j'étais sur le point d'abandonner (il y en a beaucoup qui essayent et qui abandonne), et il me dit : " Ne t'en fait pas ! Tu vas y arriver parce que moi à ce niveau j'étais mort de fatigue, complètement essoufflé et démotivé, j'ai continué et j'y suis arrivée. Tu as l'air en bien meilleur forme que moi, et moi je devrai arrêter de fumer." Je ne sais pas comment il s'appelle mais je dois lui dire merci. Parce qu'en effet ce n'était pas insurmontable. C’est juste une sorte d'épreuve psychologique. Qui a la motivation pour monter Waina Pichu, et non pas qui a la force et le souffle. Petite précision. Le site de Machu Pichu est en altitude, mais au dessous des 3000 mètres, on a pas de problème d'altitude, mais le climat y est tropical et il y fait parfois franchement chaud entre deux grains de pluies. Je suis restée 15 minutes au sommet du "monde" à contempler, et à prendre des photos, pour une fois, et je suis redescendue, en 45 minutes chrono. A mon retour au village d'Agua Calientes, je suis allée prendre un bain d'une heure dans les eaux thermales, même s'il pleuvait des trombes. Puis après un bref dîner je suis allée me coucher, heureuse. Si jamais un jour vous allez à Machu Pichu, ne croyez pas ce qu'on vous dit. Pas besoin de 150 dollars pour visiter Machu Pichu. Bon d'accord. Le prix d'entrée du site archéologique a doublé. Cela coûte 20 $US par touriste, 10 $US pour les étudiants, et il y a un prix encore plus bas pour les péruviens. Mais le plus cher, c’est de faire ce que les gens mal informés font : prendre le train de Cuzco à Agua Calientes (seul moyen de transport) qui coûte 54 $US aller-retour. Parce que la ligne a été privatisée et appartient maintenant au chiliens ou aux anglais, je n'ai pas réussi à distinguer la vérité entre ces deux versions. Alors qu'il est possible de prendre un bus jusqu'à un village qui s'appelle Oyantaitamba = 10 sols (soit moins de 2,85 US$), aller-retour de Cuzco, puis le train de nuit, de Oyantaitambo à Agua Calientes pour 28 $US, soit une économie de 23 US$. Puis à Agua Calientes, il y a des hôtels à 15 sols. Vous n'êtes pas obligé de manger dans le restaurant hyper cher à l'entrée du site archéologique, et vous pouvez amener votre sandwich et votre eau minérale pour la journée. Vous n'êtes pas non plus obligé de monter en bus de Agua Calientes à Machu Pichu : il y a un sentier, deux heures de marche pour monter. Car le bus aller-retour vaut 9 US$. Ou alors vous le prenez pour monter, et vous descendez à pied. Ce que j'ai fait. En tout cela ferait donc : bus Cuzco-Oyantaitamba aller-retour + train Oyantaitambo-Agua Calientes aller-retour + deux nuits d'Hôtel (parce qu'avec le train de nuit, il faut arriver la veille et repartir le lendemain) + bus pour monter d'Agua Calientes à Machu Pichu + entrée plein tarif de Machu Pichu (moi je les ai roulé avec une carte d'étudiante internationale périmée depuis deux mois) + un bain dans les thermes (5 sols = 1,45 US$) = 65,35 US$ sans les repas. On est loin des 150 ou 130 $US dont vous parlerons les tour operators pour vous vendre leur excursion à 75 US$ (avec entrée étudiante à Machu Pichu, et n'incluant pas le bain). Exactement identique à ce que vous ferez seuls. Je me suis faite avoir de 10 dollars. Le bénéfice de l'agence, par touriste pressé qui ne prend pas le temps d'analyser la situation. Et d'ailleurs, je ne suis pas sur de m'être faite arnaquée, car mon excursion incluait aussi le prix des deux guides, celui d'Oyantaitambo (que j'ai visité sur le chemin aller), et celui de Machu Pichu, et je me suis laissée dire que celui de Machu Pichu gagnait 5 US$ par tête (de touriste). Ce qui réduit considérablement la marge de l'agence de tourisme. A moins qu'ils aient des astuces et des ristournes qu'un touriste seul ne peut pas obtenir. Enfin bref. Je ne suis pas trop perdante. Mais maintenant que j'ai analysé la situation pour vous, ne vous faites pas avoir. Bon maintenant, 65 US$ cela reste cher (pour 1 jour et 2 nuits). J'ai payé 95 $US pour visiter quatre jours l'Alti Plano bolivien et le salar d'Uyuni en 4x4, et absolument tout inclus ! Machu Pichu c’est le plus cher que j'ai fait. Mais franchement, ça en valait la peine. Et j'y retournerai bien. Il y a une autre marche de deux heures, qui va jusqu'au temple de la Lune, dans la même direction que Waina Pichu. Quand je suis redescendue de Machu Pichu à pied, il y avait un petit garçon qui faisait la course avec le bus des touristes partants. Il faut dire que le bus passe par une route en lacets particulièrement longue, et que le sentier des piétons descend à pic, et à chaque tronçon des deux parcours qui se croisent, il arrivait avant le bus et criait pour que les touristes le voient. Des touristes que j'ai croisé après, et qui étaient dans le dit bus, m'ont dit qu'à la fin il était monté dans le bus, et avait fait la quête parmi les passagers, et que tout le monde avait donné de bon coeur au petit garçon en sueur tant ils avaient rit. Le seul point noir de ces un jour et deux nuits à Machu Pichu c’est l'hôtel où je suis restée. Hyper bruyant, ma chambre donnant sur la rue avec une porte condamnée sur la rue à laquelle les passants saouls s'amusaient à frapper. Et puis la jeune fille de l'hôtel a oublié de me réveiller les deux jours. Heureusement mon horloge interne est toujours ponctuelle. Le premier jour ce n'était pas bien grave, mais le deuxième j'aurai pu rater mon train de retour. Et puis le petit déjeuner inclus était franchement dégueulasse, et heureusement, le gars s'en ai aperçu (que cela ne me plaisait pas), et le soir il m'a offert Pisco Sour à volonté (boisson alcoolisée, à base d'alcool de sucre de canne péruvien, le Pisco, mixé avec du blanc d'oeuf, du jus citron et du sucre : miam, miam !). Je crois que je suis en train de m'initier dangereusement aux alcools forts : entre la Caipirinha et le Pisco Sour... Le point sympathique, c’est que j'ai fait le trajet en train aller avec un groupe d'étudiant en cinéma argentins, et deux amis états-uniens, Mary and Scott, fort sympathiques, et qu'au retour je me suis retrouvée assise à côté des mêmes Mary and Scott (qui travaillent dans une compagnie aérienne et voyageaient au Pérou pour leur courte et unique semaine de vacances). Presque partout, je n'ai cessé de recroiser le même cubain, dont j'ai oublié le nom, et avec qui j'ai parlé musique de longues heures en attendant le train aller. Et de retour à Cuzco au petit matin Mary, Scott et moi avons projeté de déjeuner ensemble à midi, mais ils m'ont laissé un mot à leur hôtel comme quoi ils devaient partir pour Lima, leur avion pour les USA partant le lendemain. De Cuzco, j'ai posté mon quatrième colis, avec tous mes vêtements chauds. Il ne me reste plus que 7 ou 8 kg à porter, suivant qu'il y a de l'eau dans ma gourde ou pas. Puis le lendemain, mercredi, je suis partie en avion pour Iquitos, avec une correspondance de presque quatre heures dans l'aéroport de Lima. Je ne connais pas Lima mais je connais son aéroport. Et encore une fois j'ai voyagé avec un groupe de français dépassant la cinquantaine. Bonjour les commérages et l'hypocrisie. Claudine fait des compliments à Marie-Paule : "Qu'est-ce qu'elle est jolie ta broche en forme de lama !", et quand cette dernière tourne le dos elle la démolie, "Quelle horreur ces broches ! C'est d'un kitsch !". Et Marie Paule qui revient : "Si vous en voulez, il y en a des identiques dans la boutique là bas, un peu plus chers, mais pareils". Et Claudine tout naturellement : " Ah ! Vous êtes bien aimable..." Et patati et patata... Je me demande comment ils font pour vivre avec tant de conventions et d'hypocrisie. C’est un degré de sociabilité que je ne pourrai jamais atteindre. A l'aéroport de Cuzco, j'avais oublié mon couteau dans mon sac à main. Il a fallu rechercher mon sac à dos en route pour la soute pour l'y mettre. Heureusement (le énième heureusement de cet email), c’est un tout petit aéroport, et le gars de service à fait à peine 30 mètres pour retrouver mon sac-à-dos. Arrivée à Iquitos, bonjour la bouffée de chaleur. Déjà Lima c'était chaud par rapport à Cuzco, mais Iquitos c'était pire. J'ai pris une moto-taxi pour rejoindre le centre, et tout naturellement le chauffeur connaissait un ami qui avait une agence qui pourrait m'organiser un tour dans la jungle. Il connaissait aussi quelqu'un qui pourrait me fournir de la marijuana, si je voulais... "Les touristes qui viennent par ici aiment bien prendre des drogues, que ce soit de la marijuana ou de la cocaïne", dit-il. Pour la cocaïne il ne connaît personne par contre, mais il a un ami qui doit savoir... Quel dommage ! C’est justement de la cocaïne que je voulais prendre. Que les naïfs se rassurent, je ne m'intéresse pas aux drogues chimiques et artificielles, surtout quand on sait comment elles sont fabriquées... Bref. Il me dépose à l'hôtel le moins cher avec vu sur l'Amazonie, que je n'ai pas prise parce que plus chère, mais j'ai eu vue sur la rue du marché de Belem, remplie de motos-taxis... Très chouette. Sale, mais chouette. Et puis, il m'a emmené voir son ami de l'agence de voyage. Je suis arrivée à 17 heures à Iquitos. A 19 heures j'avais signé et payé mon excursion de cinq jours dans la jungle. Ne jamais faire ça ! Il y a un office du tourisme qui donne des renseignements sur les guides et les agences, s'ils sont fiables ou pas, s'il y a eu des réclamations ou pas. Et puis, c'est toujours mieux d'en prospecter plusieurs avant de choisir. J'ai eu un doute au moment de sortir mes dollars, mais mon intuition m'a dit que je pouvais y aller. Et puis ils m'ont fait un super prix. Mon guide parlait de 60 US$ par jour et par personne, négociable à 40 US$ sans hébergement, et ils m'ont fait 25 US$ avec hébergement. Ce super prix aurait du me faire douter aussi... Mais tout ça j'y ai pensé après. Apres être retournée à l'hôtel, quand le propriétaire de l'hôtel m'a dit que je n'aurai jamais du faire ça aussi vite (ce pour quoi il avait complètement raison), et que si j'avais un quelconque problème de le lui dire, et de lui laisser les coordonnées de ma famille au cas où je ne reviendrai pas (parce que cela est déjà arrivé, des touristes qui disparaissent avec des guides inexpérimentés, et que l'on retrouve mangés par les piranhas, ou dans le ventre d'un anaconda de quatre mètres...).  Il m'a fait carrément flipper ! Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit pensant à toutes les éventualités. Pas celles de la jungle, parce que d'elle je ne craignais rien. Mais celle de l'arnaque. Le gars de l'agence aurait pu être un super acteur, et l'agence ne plus exister le lendemain, le filou disparaissant avec mes 125 dollars dans la nature. Et le lendemain matin, quand j'ai vu qu'il tardait à venir, j'ai commencé à y penser sérieusement. Peut être ne viendra-t-il jamais ! Finalement il est venu. Je suis allée en bateau avec trois autres touristes (hollandais) jusqu'au campement, et là j'ai retrouvé celui qui aura été mon guide personnel pendant cinq jours : Christopher, avec qui j'ai franchement bien rigolé, et dont je pourrais écrire un livre sur sa vie, tant c’est une pipelette hyper sentimentale, qui confie ses anecdotes les plus intimes (et les plus valorisantes bien sure) au premier venu. Bref. En cinq jours, je n'ai pas qu'explorer la jungle, j'ai aussi pu observer de très près l' "homme de la jungle", ses peurs, ses expériences, ses rêves, ses opinions, ses qualités et ses défauts. Et le mieux c'est qu'il n'y avait pas un, mais quatre guides dans ce campement. Je n'ai pas beaucoup connu Walter, parce qu'il était plutôt discret, et pas vantard du tout, mais je suis allée à la pêche aux piranhas avec Ricardo, le guide stagiaire, et je me suis jointe au groupe de Juan Carlos, le guide "mythique" pour les deux derniers jours (avec son groupe de trois allemands). Je dis le guide mythique parce que j'avais entendu parler de Juan Carlos par ci, et Juan Carlos par là, pendant au moins deux jours avant qu'il n'arrive au campement avec son groupe. C’est le mentor de Ricardo. Il n'a que quelques années d'expérience (il a 28 ans), mais il paraît qu'il a une mémoire extraordinaire (il connaît énormément de noms d'oiseaux, et en trois langues : espagnol, latin et anglais), et qu'il aime tant les reptiles, que quand il voit un anaconda de quatre mètres, il saute dans l'eau pour le capturer et le montrer aux touristes, et pareil avec les caïmans. Bref, je n'imaginais pas un jeune blanc bec de 28 ans aux descriptions qu'on m'en avait faite. Car Juan Carlos, tout comme Christopher, parle beaucoup de ses exploits (Juan Carlos plus de ses exploits dans la jungle, et Christopher plus de ses exploits sexuels, certes). Et du coup, quand je l'ai vu débarquer avec ses grands sabots, j'ai rigolé intérieurement, mais quand je l'ai vu sauter sur les caïmans, je me suis juste dit qu'il était un peu fou. Je lui ai dit que je ne trouvais pas ses démonstrations de force avec la nature, très intelligentes, mais j'étais quand même un peu impressionnée. Et puis il connaissait le nom de toutes les brindilles d'herbe que je lui montrais, et de tous les oiseaux de toutes les couleurs que nous rencontrions... Parce que bien sure j'ai cherché à tester ses connaissances par rapport à ce que j'avais retenu de mes premières sorties avec Christopher. En gros, il n'était pas, contrairement à ce que je croyais, comme les frites Mac Cain : c'est ceux qui en parle le plus qui en mangent le moins... Il était à la hauteur de sa réputation. Mais bon. Ricardo en fait un peu trop tout de même dans sa façon de le vénérer. Enfin. Je ne suis pas allée dans la jungle pour écrire une thèse en ethnologie sur les guides péruviens. J'ai aussi découvert la jungle, ses oiseaux, ses insectes, ses plantes médicinales, ses singes. J'ai pêché le piranha trois fois, mais n'ai sorti de l'eau que des sardines (piranhas végétariens), qui curieusement ont mordu à l'hameçon malgré l'énorme bout de viande accrochée dessus. Mais ça, je ne peux en vouloir à personne, car il semblerait, qu'en cette saison, l'eau soit trop haute pour pêcher le piranha. J'ai pu observer de près et de nuit les caïmans, de jour les anacondas, et j'ai eu beau chercher les pumas, ils ont visiblement peur de moi. J'ai passé quatre nuits de sommeil extraordinaire, en plein air, dans un lit et sous une moustiquaire, mais dans un abri sur pilotis. Le pied. J'ai aussi super bien mangé (le cuisinier gay était un vrai cordon bleu). J'ai assisté aux matchs  de foot touristes et guides contre villageois, au village d'à côté. Les villageois ont gagné. Et j'étais la seule à avoir parié sur eux. J'ai parié 2 sols, et j'en ai gagné 10, que j'ai redonné au chef du village pour qu'il s'achète un meilleur ballon de foot, ou du moins une pompe, parce que leur ballon ne rebondissait pas beaucoup. Je suis sure qu'ils ont bu mes 10 sols en une soirée, vu comment ils étaient bien imbibés quand ils ont joué, mais bon. Le bras de rivière que nous avons exploré à partir du campement était constamment encombré de végétation (qui descend le fleuve à la saison des pluies), et avec le bateau à moteur, nous sommes restés bloqué souvent. J'ai vu un charpentier fabriquer un canoë à la hache et au coutelas dans un troncs d'arbre : impressionnant ! J'ai appris à pagayer façon Amazonie et en cinq jours, je suis devenue une pro aux dires de Monsieur Juan Carlos qui m'a jugée meilleure que Ricardo... J'ai fait une compétition de natation avec les guides et je les ai tous battus à plates coutures. J'ai des restes ! Mais pour la compétition d'apnée, j'étais pas à la hauteur : Christopher est resté plus de deux minutes. Il faut que je m'y remette. J'ai appris à jouer un jeu de carte anglais super sympa avec les hollandais. J'ai noté les règles pour ne pas oublier. J'ai assisté à une cérémonie religieuse avec un chaman et j'ai bu du waskal (drogue hallucinogène utilisée pour avoir des visions). Pour cela il a fallut que je fume : mes premières bouffées de tabac de ma vie. Tabac naturel, mais beuark ! Le waskal n'a pas fonctionné. J'en ai pris deux fois la dose, et je n'ai rien vu, sinon le beau visage du chaman quand il rallumait la pipe, et les étoiles dans le ciel par cette belle nuit sans lune. Cette drogue est censée provoquer diarrhée et vomissements : j'ai juste vomis tout le waskal que j'avait bu. Ça m'a un peu retourné sur le moment, comme quand on vomit, mais le lendemain je pétais la forme ! Juste un peu déçue. Et le dernier jour, j'ai assisté au premier jour du carnaval au village avant de rejoindre Iquitos : bataille de boue et d'eau (on était tous dégueulasse pour retourner à la ville), deux grands mats de cocagne au milieu du village, et de la musique un peu binaire, à base de percussions et de flûtes. J'ai dansé avec le cuisinier gay et dans le bateau, sur le retour, on a fini par une bataille d'eau, parce qu'on était couverts de boue. Voilà. Et maintenant je parle de vivre dans la jungle. Pas parce que je me suis bien amusée pendant ces cinq jours, mais parce que je ne me suis jamais sentie aussi bien dans ma peau que depuis que j'ai fait ce séjour. J'ai le sentiment d'être entière et moi même, comme cela ne m'était pas arrivé depuis longtemps. De retour à Iquitos, j'ai trouvée un message de mon amie espagnole comme quoi elle ne me rejoignait pas comme prévu à Iquitos, mais qu'on pouvait se retrouver à Manaus, parce qu'elle était en Bolivie, et à 300 US$ en avion de Iquitos. J'ai donc pris le bateau suivant pour Tabatingua, deux jours et deux nuits de voyage. Dans ce bateau, j'ai rencontré Kinver et Tania, un couple de péruvien de mon âge. Nous sommes restés une nuit à Tabatingua (au Brésil), et avons visité Leticia (en Colombie) en mobylette louée : première fois que je conduis une mobylette 100 cm3 à quatre vitesse... il faut vraiment que je passe mon permis moto ! Et Kinver et moi avons pris le bateau pour Manaus le jour suivant, parce que sa fiancée Tania ne faisait que l'accompagner, lui, allant chercher du travail à Manaus. Tabatingua-Manaus : quatre jours et trois nuits. Dans un bateau hyper luxueux : on dormait en hamac, mais la salle du pont supérieur était climatisée, et les repas plutôt bons (même si c'était presque toujours la même chose), les toilettes avec du papier toilette, et les douches très propres, les télé fonctionnaient, et ils ont même passé des vidéos. Le grand luxe par rapport au Pérou ! Demain l’espagnole, Eliane, me rejoint ici, et nous partons direct pour Belém en bateau : trois jours et deux nuits de plus. Voyager en bateau sur l'Amazonie, cela peut paraître hyper ennuyeux et monotone, mais c'est le moment idéal pour se recueillir, et faire le bilan, en cette fin de voyage. Le seul truc, c’est que les trajets sont bien plus courts que ne me l'avaient dit ceux que j'ai rencontrés et qui l'avait déjà fait, plus court que ne le disent les guides, et plus courts que je ne l'avais pronostiqué. Conclusion, j'aurai descendu l'Amazonie en onze jours (départ le 5 mars de Iquitos, arrivée le 16 mars à Belém), et du coup cela me fait quinze jours ou presque de rab pour mieux connaître le delta de l'Amazonie, ou la Guyane Française. C'est à voir. Je crois que cette fois j'ai rattrapé tout mon retard. Il faut dire que ce mois écoulé sans beaucoup écrire, j'ai écrit d'autres choses, des débuts de romans, des nouvelles, et des impressions personnelles, très personnelles, que jamais je ne révélerai dans un email, et que d'autre part, j'ai voyagé relativement vite, mais que tout ce que j'ai vu était si merveilleux, et me suffisait largement, sans que j'ai besoin d'en parler. J'ai compris encore une chose sur moi : je suis quelqu'un de superficiel. Et là, tout ceux et celles à qui j'ai pu reprocher ce défaut doivent bien rigoler. Non pas que je sois matérialiste, consumiériste, ou quoi que ce soit d'autre qui ait un rapport avec faire du shopping, passer son temps à se fringuer, ou se maquiller, et critiquer les moeurs de ses con-soeurs sans leur arriver à la cheville. Je suis superficielle dans mes sentiments. Je me suis tellement bien adaptée au mode de vie nomade (dont je jugeais les relations affectives trop superficielles, au début de mon voyage et jusqu'à il n'y a pas si longtemps que ça), que je me rends compte que c'est tout à fait moi. Etre capable de s'intéresser à tout le monde, en apprécier beaucoup (de ce monde), s'attacher à peu d'entre eux, et aimer "vraiment" rarement, le tout avec une distance suffisante pour donner et partager quand je veux et ce que je peux, recevoir quand il faut, quitter sans pleurer, ni jamais regretter, et retrouver avec plaisir. Je parle d'amitié bien sure. En amour, c'est une autre paire de manches. Ce qui explique que je n'ai pas besoin de m'attacher à un endroit ou à une communauté, peut-être. Je peux être chez moi n'importe où. Allez. Je m'arrête là. Je ne sais pas quand sera la prochaine fois. Mais croyez moi, je ne vous épargnerai pas. Merci de me lire, encore et toujours, Chà ! PS : les heures que je passe à tchatcher sur Internet avec un certain nombre de personnes auxquelles je tiens, sont certain un contre-exemple à la démonstration que je viens de faire de ma superficialité. Mais l'Homme n'est-il pas un animal complexe ?
>>> Photos illustratives du paragraphe sur Markie Mark supprimée du texte mais si vous voulez vous rincer l'oeil vous n'avez qu'à taper Mark Walberg ou Markie Mark ou NKOTP sur Google Image...

5 mars 2003

Email Carlotta en America del Sur # 36.

Mercredi 5 mars 2003, Iquítos, Perou.
En réalité ce n'est pas encore aujourd'hui que je vais vous raconter mes aventures. Je prends un bateau ce soir pour commencer ma descente de l'Amazone... en hamac. Je vous écrirai peut être à ma prochaine escale. En réalité en ce moment je me laisse happer par la réalité... ce qui n'est pas un mal en soi ! Je vis l'instant présent. Bisous à tous. Chà !

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